Aller au contenu

Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
172
ÉLÉMENS

miracles ont été privés de leurs biens, exilés, emprisonnés, persécutés, sans changer d’avis. Il n’est guère douteux que plusieurs n’eussent souffert de plus grands maux pour soutenir la vérité de ce qu’ils croyaient avoir vu ; la postérité serait-elle sage d’en conclure (sans autre examen) qu’ils n’étaient ni fourbes, ni dupes ? Nullement ; car les histoires sont pleines de fanatiques qui ont même souffert la mort avec courage pour leurs erreurs ; et il est aussi facile à des hommes inattentifs ou prévenus, de se tromper sur des faits que sur des opinions.

Aussi l’embarras de la postérité sur cette nuée de témoignages commencerait à diminuer, si elle apprenait en même temps les contradictions que ces miracles ont essuyées dans le lieu même qui les a vu naître, le peu de foi que les sages y ont ajouté, et îe ridicule dont ils ont fini par couvrir le parti qui s’en prévalait. Bientôt cet embarras se réduirait à rien, si elle savait que dès que le théâtre de ces prétendus prodiges fut fermé, il ne s’en fit plus, parce qu’on avait éteint le foyer oii l’enthousiasme allait s’allumer par une communication réciproque, et muré, si je puis parler ainsi, l’atelier où se fabriquaient les lunettes du fanatisme.

Tel est à peu près le sort qui est destiné à la plupart des faits de cette nature, et qui règle le jugement qu’on en doit porter. On peut dire avec beaucoup de raison que l’incrédulité sur ce point est le commencement de la sagesse. J’ajoute même que c’est pour un chrétien le commencement de la foi ; car la première disposition, pour être persuadé des vrais miracles, est de rejeter ceux qui nele sont pas. Croira-t-on les prodiges d’Accius Navius, de Curtius, et mille autres semblables, quoiqu’arrivés, si on s’en rapporte à l’histoire, sous les yeux de tout un peuple ? Croira-t-on la prétendue résurrection dont on fait honneur à Apollonius de Thyane, quoique exécutée, selon son historien, sur le plus grand théâtre, dans la capitale du monde ? Croira-t-on que le vieux de la Montagne n’en imposât pas à ses disciples, quoiqu’ils courussent se donner la mort au premier signal qu’ils recevaient de lui ? Croira-t-on enfin la prétendue guérison d’un paralytique et d’un aveugle par Vespasien, quoique rapportée par un historien tel que Tacite, qui semble même y ajouter une espèce de foi par ces paroles qui terminent son récit ; les témoins de ce fait, dit-il, l’assurent encore aujourd’hui, quoiqu’ils n’aient plus d’intérêt à en imposer ? Si on ajoute foi à ces prétendues merveilles, pourra-t-on croire, comme on le doit, celles que l’Évangile rapporte, puisque la vraie religion doit avoir seule le privilège de s’appuyer sur de vrais miracles ?

La circonspection avec laquelle on doit admettre les témoi-