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ÉLÉMENS

dira point avec d’autres, pour sauver la justice de Dieu, que cet Être si bon, si parfait et si sage, produit tout le physique des crimes sans en produire le moral, qui n’est autre chose qii une privation ; il renvoie aux rêveries des scolastiques cette distinction extravagante, et se contente de leur demander, pour leur fermer la bouche, comment Dieu, après avoir produit tout le physique des crimes, punit ensuite le moral, effet nécessaire de ce physique. Ainsi, au lieu de faire des détours inutiles pour se retrouver au point d’où il est parti, au lieu de se couvrir de quelques raisonnemens subtils et frivoles, pour revenir ensuite, pressé par les objections, à la profondeur des décrets éternels, il reconnaît dès le premier moment cette profondeur et son ignorance. Mais pour ôter aux athées tout sujet de triomphe, il remarque et fait voir sans peine que les objections contre la liberté sont elicore plus fortes dans le système de l’éternité et de la nécessité de la matière, que dans celui d’une intelligence toutepuissante et éternelle. Enfin, aux objections sur la misère de l’homme, sur les désordres de l’ordre moral et sur les imperfections de ce monde, il opposera les dogmes qui nous apprennent que l’homme a péché avant que de naître, qui nous promettent des récompenses et des peines dans une vie future, et qui nous font voir le plus parfait des mondes possibles dans celui oii il a fallu que Dieu prît la forme humaine. Mais ces différentes matières étant l’objet de la révélation, le philosophe, pour ne point en usurper les droits, laisse aux théologiens à les traiter avec le soin et les détails qu’elles exigent, et se contente de renvoyer les incrédules aux ouvrages oii elles sont discutées.

Du reste, comme la meilleure réponse aux objections des athées consiste dans des preuves directes de la vérité qu’ils combattent, le philosophe s’appliquera principalement au choix de ces preuves : il évitera surtout d’en employer aucune qui puisse être sujette a contestation. Rien n’est, on ose le dire, plus indécent, plus scandaleux même, et ne serait plus nuisible à cette grande-vérité (si quelque chose pouvait lui nuire) que la licence avec laquelle les scolastiques s’attaquent réciproquement sur leurs démonstrations de l’existence de Dieu, qui ne méritent plus ce nom dès qu’elles ne sont pas hors d’atteinte. L’école de Scot rejette celle des Thomistes, les Thomistes celle de Scot, Descartes celle de Scot et des Thomistes, les Péripatéticiens modernes celle de Descartes. Il suiiit qu’une opinion soit combattue (comme celle des idées innées) pour qu’on ne doive pas en faire la base d’un argument de l’existence de Dieu. C’est alors moins prouver un premier Être que l’outrager. Le philosophe se bornera donc aux preuves qui sont