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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/301

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DE PHILOSOPHIE.

que moins un sujet l’intéresse, plus il trouve presque toujours de facilité pour le connaître ; et cela est si vrai que dans l’étude même de la nature, les premiers principes, dont il nous » importerait le plus d’être instruits, sont absolument cachés pour nous. Mais sans nous consumer en regrets inutiles sur les biens dont nous sommes privés, profitons de ceux dont il nous est permis de jouir.

L’étude de la nature est celle des propriétés des corps ; et leurs propriétés dépendent de deux choses, de leur mouvement et de leur figure. Ainsi les sciences qui s’occupent de ces deux points, c’est-à-dire, la mécanique et la géométrie, sont les deux clefs indispensablement nécessaires de la physique. La géométrie qui doit précéder, comme plus simple, doit elle-même être précédée par une autre science plus universelle, celle qui traite des propriétés de la grandeur en général, et qu’on appelle algèbre Deux raisons doivent donner à cette science un rang distingué dans des élémens de philosophie. La première, c’est que la connaissance de l’algèbre facilite infiniment l’étude de la géométrie et de la mécanique, et qu’elle est même absolument nécessaire à la partie transcendante de ces deux sciences, dont la physique, prise dans toute son étendue, ne saurait se passer. La seconde, c’est que s’il y a des sciences qui doivent avoir place par préférence dans des élémens de philosophie, ce sont sans doute celles qui renferment les connaissances les plus certaines accordées à nos lumières naturelles. Or l’algèbre tient le premier rang parmi ces sciences, puisqu’elle est l’instrument des découvertes que nous pouvons faire sur la grandeur.

Néanmoins toute certaine qu’elle est dans ses principes, et dans les conséquences qu’elle en tire, il faut avouer qu’elle n’est pas encore tout-à-fait exempte d’obscurité à certains égards[1]. Est-ce la faute de l’algèbre ? Ne serait-ce pas plutôt celle des auteurs qui l’ont traitée jusqu’ici ? Que la mécanique, que la géométrie même nous laissent dans l’esprit quelques nuages sur des propositions démontrées d’ailleurs, on peut n’en être pas étonné. L’objet de ces deux sciences est matériel et sensible, et la connaissance parfaite de cet objet tient à celle des corps et de l’étendue dont nous ignorons la nature. Mais les principes de l’algèbre ne portent que sur des notions purement intellectuelles, sur des idées que nous nous formons à nous-mêmes par abstraction, en simplifiant et en généralisant des idées premières ; ainsi ces principes ne contiennent proprement que ce que nous y avons mis, et ce qu’il y a de plus simple dans nos perceptions ;

  1. Pour n’en citer qu’un seul exemple, je ne connais aucun ouvrage où ce qui regarde la théorie des quantités négatives soit parfaitement éciairci.