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DE PHILOSOPHIE

d’hui pour déterminer le mouvement d’un fluide qui sort d’un vase. Selon ces auteurs, le fluide qui s’échappe à chaque instant est pressé par le poids de chaque colonne fluide dont il est la base. Cette proposition est évidemment fausse, lorsque le fluide coule dans un vase cylindrique entièrement ouvert et sans aucun fond. Car la liqueur descend alors comme ferait une masse solide et pesante, sans que ces parties exercent les unes sur les autres aucune action, puisqu’elles se meuvent toutes avec une égale vitesse. Si le fluide sort du tuyau par une ouverture faite au fond, alors la partie qui s’échappe à chaque instant peut à la vérité souffrir quelque pression par l’action oblique et latérale de la colonne qui appuie sur le fond ; mais comment prouvera-t-on que cette pression est précisément égale (surtout lorsque le fluide est en mouvement) au poids de la colonne de fluide qui aurait l’ouverture du fond pour base ?

Il ne faut pas dissimuler, au reste, que quand on veut appliquer le calcul d’une manière rigoureuse aux lois du mouvement et de l’action des fluides, sans se permettre aucune hypothèse arbitraire, on trouve dans cette explication plus de difficultés qu’on ne pourrait d’abord en attendre ; et qu’on ne parvient pas sans peine à démontrer sur cette matière les vérités les plus généralement connues, dont la plupart sont assez mal prouvées dans presque tous les livres de physique. On ne doit pas même être surpris que dans cette matière épineuse la solution des problèmes ou se refuse entièrement à l’analyse, ou ne puisse en être déduite que d’une manière très-imparfaite ; mais c’est avoir beaucoup fait dans un sujet si difficile, que de s’assurer jusqu’où peut aller la théorie, et de fixer pour ainsi dire les limites où elle doit s’arrêter. Souvent l’expérience même ne nous offre sur cet objet que des lumières fort imparfaites ; car quand on compare entre elles les expériences qui ont été faites jusqu’ici, pour déterminer par exemple la résistance des fluides, on les trouve si peu d’accord qu’il n’y a peut-être encore aucun fait parfaitement constaté à cet égard. La multitude des forces, soit actives, soit passives, est ici compliquée à un tel degré, qu’il paraît presque impossible de déterminer séparément l’effet de chacune, de distinguer celui qui vient de la force d’inertie d’avec celui qui résulte de la ténacité, et ceux-ci d’avec l’effet que doivent produire la pesanteur et le frottement des particules. D’ailleurs quand on aurait démêlé dans un seul cas les effets de chacune de ces forces et la loi qu’elles suivent, serait-on bien fondé à conclure que dans un cas où les particules agiraient tout autrement tant par leur nombre que par leur direction, leur disposition et leur vitesse, la loi des effets ne serait pas toute différente ? Cette