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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/534

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RÉFLEXIONS

conséquent un septième du genre humain ne serait point sujet à la petite vérole ; ce qui serait bien au-dessus du vingt-quatrième auquel on fixe cette partie des hommes. Je ne prétends pas donner le calcul précédent pour exact à beaucoup près ; mais il suffit, cerne semble, pour’faire voir que le prétendu rapport de 1 à 24, entre ceux qui n’ont pas la petite vérole et ceux qui en sont attaqués, est au moins très-douteux, pour n’en pas dire davantage ; et cela d’après les calculs même adoptés par les partisans de l’inoculation.

On ignore de plus quel est à chaque âge le danger de tomber dans cette maladie ; danger qui est peut-être fort peu considérable pour ceux qui ont passé 50 ans. Je trouve par les éloges de l’Académie des sciences, que de 90 académiciens morts au-dessus de cet âge, il n’en a péri aucun de la petite vérole ; d’où l’on serait peut-être en droit de conclure qu’au-dessus de 50 ans, cette maladie n’enlève pas la quatre-vingt-dixième partie de l’espèce humaine. Or s’il est très-commun, comme nous l’avons observé plus haut, de n’avoir pas encore eu la petite vérole à 50 ans, et si d’un autre côté, comme il y a lieu de le croire, elle est sujtout dangereuse et mortelle pour ceux qui ont atteint cet âge, il s’ensuivrait de toutes ces vérités ou hypothèses combinées, qu’un grand nombre de ceux qui ont atteint cet âge sans avoir eu cette maladie, meurent sans lui payer ce tribut ; assertion peut-être aussi fondée pour le moins que le pourrait être l’assertion opposée.

Enfin, et c’est ici l’observation essentielle sur laquelle nous ne saurions trop insister, quand on égale le danger d’attendre la petite vérole, au danger d’en mourir lorsqu’on en est atteint, on tombe dans le sophisme palpable d’égaler un danger présent à un danger qui peut être éloigné, et qui devient même incertain par son éloignement, comme nous l’avons déjà dit. On objecte, je ne sais si c’est sérieusement, que la distance où l’on voit un danger ne le rend pas incertain pour cela ; et on cite pour preuve la mort ; étrange raisonnement ! comme s’il était aussi sûr qu’on sera attaqué^ de la petite vérole, qu’il l’est qiion doit mourir un jour ? L’effet de la distance où l’on voit le danger est bien différent dans les deux cas ; dans celui de la mort, la distance ne rend pas le danger incertain, parce que ce danger a dans le cours de la vie une place fixe, quoique inconnue, dont on s’approche toujours ; dans le cas de la petite vérole, non-seulement on voit le danger dans l’éloignement, mais il est incertain même si on s’en approche.