Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/561

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sés a le combattre. Mais nous ne pouvons nous dispenser de remarquer ici le jugement porté sur le livre de l’abbé Raguenet par son censeur Fontenelle, ce pliilosophe si modéré et si pacifique, accoutumé d’ailleurs à nos anciens opéras dont il avait les oreilles imbues et pénétrées, élevé enfin dans la musique la plus française et la moins ultramontaine ; je crois, dit-il, que l’impression de cet ouvrage sera très-agréable au public, pourvu qu’il soit capable d’équité. Cinquante ans plus tard, quel cri n’eût pas excité cette approbation ? Le sage Fontenelle n’aurait pas eu l’imprudence ou le courage de parler ainsi de nos jours. Il n’était pas bomme à se faire des ennemis pour des chansons.

VII. Il y a une espèce de fatalité attachée dans ce siècle à ce qui nous vient d’Italie. Depuis la bulle Unigenitus jusqu’à la musique des intermèdes, tous les présens bons ou mauvais qu’elle veut nous faire, sont pour nous un sujet de trouble. Ne serait-il pas possible d’accommoder notre différend avec les Italiens, de prendre leur musique et de leur renvoyer le reste ? dissensions pour dissensions, celles que l’Opéra peut causer parmi nous seront moins turbulentes, et surtout moins ennuyeuses. Qu’on me permette de raconter à cette occasion, comme une matière de réflexion pour les philosophes, la conversation que j’eus dans la plus grande chaleur de notre guerre musicale, avec un janséniste austère qui ne va jamais au spectacle, et qui n’en a pas la plus légère idée. On lui avait envoyé une de ces brochures dont nous avons été inondés sur la musique française. J’ai reçu, me dit-il, une feuille où je ne comprends rien, si ce n’est qu’elle m’a paru fort mal faite et fort mal écrite. Qu’est-ce que le Correcteur des bouffons, l’Écolier de Prague, le petit Prophète, le Coin de la Reine ? — Je lui expliquai de mon mieux ce que signifiaient ces mots. Hé bien, lui dis-je ensuite, vous n’entendiez rien à tout cela, et vous n’en étiez pas plus à plaindre ; cependant apprenez que cette dispute sur la musique, qui vous touche si peu, et qui n’est pas même parvenue jusqu’à vous, occupe depuis six mois avec fureur les graves citoyens de cette ville ; apprenez que l’intérêt violent qu’ils y prennent, a suspendu et presque anéanti celui qu’ils commençaient à prendre à la chose du monde dont vous êtes le plus agité, l’affaire de la sœur Moyzan, et celle de la sœur Perpétue. Mon janséniste gémit, et alla prier Dieu pour l’aveuglement de son siècle.

VIII. Enfin, pour calmer les esprits, il a fallu de nouveau renvoyer les bouffons, à peu près comme il fallut autrefois que Titus renvoyât sa maîtresse pour apaiser les Romains. En vain les bouffonistes, réduits à la disette, ont demandé instamment