Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/573

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dans les endroits nombreux du poëme, où il n’y aura ni passions, ni mouvemens à exciter ? fera-t-il simplement réciter et déclamer ces morceaux comme une pièce de théâtre ordinaire ? Mais cette déclamation trancherait trop avec le chant qui suivrait, et l’opéra ne serait alors qu’un tout bizarre et monstrueux. La vraisemblance, il est vrai, ne se trouve pas dans un opéra chanté d’un bout à l’autre ; mais elle y est moins blessée que dans un opéra moitié chanté, moitié parlé ; il est plus facile de se prêter à la supposition d’un peuple qui dit tout en musique, qu’à celle d’un peuple dont la langue est mêlée de chant et de discours. Il faut donc que dans un opéra tout soit chanté. Mais tout ne doit pas y être chanté de la même manière, comme dans le discours tout n’est pas dit du même ton, avec la même froideur et le même mouvement. Il doit donc y avoir entre les airs et le récitatif une différence très-marquée par l’étendue et la qualité des sons, par la rapidité du débit, et par le caractère de l’expression. La nature du chant ordinaire, de ce qu’on appelle proprement ainsi, consiste en trois choses ; en ce que la marche y est plus lente que dans le discours ; en ce que l’on appuie sur les sons comme pour les faire goûter davantage à l’oreille ; enfin en ce que les tons de la voix et les intervalles qu’elle parcourt, y varient fréquemment et presque à chaque syllabe. Le premier et le second de ces caractères n’appartiennent point à un bon récitatif ; le troisième doit à la vérité s’y trouver, mais d’une manière moins marquée que dans le chant. D’un côté la rapidité du débit rend la succession des intervalles moins sensible dans le récitatif, et de l’autre cette succession doit y être plus fréquente que dans le discours, mais moins que dans le chant ordinaire. Voilà ce que les Italiens ont senti ; voilà ce qu’ils pratiquent avec raison, et on ose dire, avec succès, Au contraire un des grands défauts de notre opéra, c’est que le récitatif n’est pas assez distingué des airs. Aussi les étrangers nous demandent-ils avec surprise quelle différence nous y mettons, ou plutôt pourquoi nous n’y en mettons pas ; depuis l’ouverture jusqu’à la toile baissée, ils attendent toujours, disent-ils, que l’opéra commence.

XXII. Ce récitatif auquel nous tenons si fort, et dont nous avons même la simplicité de nous glorifier, est aujourd’hui dans nos opéras d’un ennui plus mortel que jamais. Les acteurs, pour faire briller leur voix, ne songent qu’à crier et à traîner leurs sons ; la vivacité du débit, si nécessaire au récitatif, est absolument ignorée d’eux ; peut-être même n’en ont-ils pas l’idée. On assure que du temps de Lully le récitatif se chantait beau-