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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/576

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DE LA LIBERTÉ
IPHISE.

Si vous êtes surpris en apprenant ma flamme,
De quelle horreur serez-vous prévenu,
Quand vous saurez l’objet qui règne sur mon âme ?

DARDANUS.

Je tremble… je frémis… Quel est votre vainqueur ? etc.

Nous croyons pouvoir proposer ce morceau à tous nos artistes français, comme le modèle d’un bon récitatif. Il nous semble qu’un excellent acteur qui aurait à déclamer tout cet endroit de la scène de Dardanus, le rendrait précisément comme il est mis en musique. Pour parler plus exactement, et pour ne rien outrer, car il peut y avoir plusieurs manières différentes, toutes également bonnes, d’exprimer le sentiment renfermé dans ces vers, je suppose qu’un acteur intelligent les débite à l’italienne, en se conformant à la note, mais en mettant d’ailleurs dans son débit les inflexions, les finesses, les nuances, les degrés de fort et de faible nécessaires pour faire sortir l’expression ; et je crois pouvoir assurer que le chant se fera sentir à peine, et qu’on croira simplement entendre une scène tragique bien rendue. Je vais plus loin, et j’ose prédire que ce morceau, débité de la manière dont je le propose par une excellente actrice, ferait plus de plaisir que le même morceau chanté à pleine voix par la même actrice, avec toute la perfection dont il est susceptible ; les traits du chant proprement dit sont plus marqués, et si on ose parler de la sorte, plus grossiers que ceux de la simple déclamation ; celle-ci a dans l’expression du sentiment certaines délicatesses, dont la voix poussée avec plus d’effort ne serait pas capable. Cette différence entre le chant et la déclamation paraîtrait surtout à l’avantage de la dernière dans les premiers vers qu’on a cités, et s’il était un cœur trop faible, trop sensible, etc., où il n’est pas possible de porter plus loin que le compositeur l’a fait, la vérité du sentiment et la ressemblance du chant avec le discours. La voix y monte presque à chaque syllabe par semi-tons, c’est-à-dire, par les moindres degrés naturels, comme elle le doit faire quand on vient eu tremblant découvrir un sentiment dont on rougit, mais dont on n’est pas le maître ; car cette élévation de ton graduelle et insensible est l’effet que doit produire d’un côté la force de la passion qui ne peut plus se contraindre, de l’autre la timidité naturelle qui s’enhardit par degrés. C’est cet endroit de la scène de Dardanus que nous devons citer et apprendre, et non pas l’air, arrachez de mon cœur, peu naturel pour les paroles, et commun pour la musique.