Page:Darboy - Œuvres de saint Denys l’Aréopagite.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
cxlix
INTRODUCTION.

nos conceptions, la querelle des réalistes et des nominaux appela et nourrit longtemps l’activité des esprits, et quatre siècles ont retenti du fracas de ces tournois scholastiques. Là devait naturellement intervenir le nom de saint Denys. Sa théorie sur les idées archétypes, principes absolus ou participations qui forment l’essence et déterminent l’individuation des êtres, comme on disait, le range de droit parmi les réalistes ; et, de fait, ceux que l’histoire représente comme ayant le plus scrupuleusement étudié ses écrits devinrent les adversaires ardents du nominalisme. Mais quel degré d’influence exercèrent en ce point les doctrines de l’Aréopagite, c’est ce qu’il n’est pas possible de fixer avec précision. Il est permis seulement d’affirmer qu’il contribua sans aucun doute à susciter et à entretenir ces fécondes luttes de la pensée humaine.

Il demeura beaucoup plus étranger à la méthode qui s’introduisit dans les études. On sait qu’elle était éminemment péripatéticienne. Les conceptions de l’ordre de foi s’encadraient dans les formes qu’avait dessinées Aristote, et que l’Occident connaissait par les traductions de Victorin et de Boëce[1]. « La dialectique du stagyrite présida dès l’origine, elle présida constamment aux études du moyen âge ; elle en devint le pivot, à mesure que leur cercle s’étendit ; elle en détermina l’esprit, elle en marqua la forme. Cette circonstance est peut-être le caractère le plus général et le plus constant de la scholastique[2]. » Or, ainsi qu’on a déjà eu plusieurs fois l’occasion de l’observer, saint Denys est platonicien ; la forme de sa philosophie a de l’indépendance et cette élasticité qui caractérise la méthode d’induction. Par suite, elle ne pouvait devenir que médiocrement chère à la théologie, qui, pre-

  1. À cette époque, on ne connaissait encore d’Aristote que ses livres nommés organiques, c’est-à-dire les Catégories, de l’Interprétation, les deux Analytiques, les Topiques, et des Sophismes. Cette collection porte le nom d’Organum.
  2. De Gérando, Hist. comparée, t. IV, ch. 25. Voyez aussi Cousin, Hist. de la Phil., 9e leçon.