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LETTRES SUR L’INDE

commence à s’inquiéter. Un jour, enfin, le fakir vient lui annoncer que le saint a maintenant quarante gaz de long et qu’il lui faut… — « Ah ! cette fois, c’en est trop, s’écrie le Commissaire : est-ce que ton saint veut me chasser du cantonnement ? » et il signifie au fakir que le Pir ait à revenir à des proportions plus honnêtes, ou qu’autrement il en coûtera à son porte-paroles. Le fakir se le tint pour dit et, depuis ce jour, le saint resta tranquille dans sa tombe.

Au fond, c’est le fakir qui avait raison. La tombe n’est-elle point la seule mesure où prendre la taille des hommes et distinguer le mort du vivant, la créature anéantie de celle qui vit et grandit toujours ? Que d’orateurs, de guerriers, de romanciers, de dramaturges bruyants, qui semblent dépasser les hommes de vingt coudées et qui, à la mort, prennent des proportions si minuscules qu’il faudra pour les redécouvrir le microscope de l’érudit et pour s’éprendre d’eux l’intelligence faussée d’un candidat à l’Institut ! Et, à côté de ceux-là, quelques-uns qui ont passé anonymes et invisibles, inconnus d’eux-mêmes, morts de leur vivant, et qui se réveillent dans la tombe, y grandissent sans terme, remplissent du souffle de leur âme les générations qui passent là-haut. Je sais bien que la tombe aussi a ses