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LETTRES SUR L’INDE

étonneraient chez l’autre, Akbar, j’en suis sûr, n’était pas homme à punir ainsi même un sourire de femme aimée dérobé à son amour. Sélim, au contraire, plus tard empereur sous le nom de Jehanguir, est le plus abominable ivrogne qui ait jamais honoré trône impérial. Mais qu’importe ? la tombe est là, le marbre est là, le nom de Sélim y est, les deux lignes aimantes y sont ; l’histoire est douce et triste : autant y croire.

Les gens pieux qui ont fait de la tombe une église n’ont pas voulu laisser le marbre de la danseuse près du marbre de l’autel : ils l’ont jeté dans un petit réduit ignoble, et, pour faire le tour du sarcophage, il faut l’enjamber et troubler les araignées dans leurs toiles. Ne pouvaient-ils laisser la pauvre danseuse dormir tranquillement dans sa tombe et blanchir un autre sépulcre pour abriter leurs vertus ? Cependant, même à présent, leur conscience n’est pas en repos : on dit que le voisinage d’Anarkali les trouble encore et l’on se cotise en ce moment pour bâtir une véritable église ; car, vous comprenez, on n’aime pas prier à côté d’une danseuse, d’une danseuse morte. Et puis, hélas ! la pauvre Fleur-de-Grenade a donné son nom au bazar voisin, le bazar d’Anarkali, où, tous les soirs, les filles de Cachemire, en robe virginale, der-