Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/92

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bien ayſe de prier icy nos neueux, de ne croire iamais que les choſes qu’on leur dira vienent de moy, lorſque ie ne les auray point moy meſme diuulguées. Et ie ne m’eſtonne aucunement des extrauagances qu’on attribue a tous ces anciens Philoſophes, dont nous n’auons point les eſcrits, ny ne iuge pas, pour cela, que leurs penſées ayent eſté fort deraiſonnables, veu qu’ils eſtoient des meilleurs eſprits de leurs tems, mais ſeulement qu’on nous les a mal rapportées. Comme on voit auſſy que preſque iamais il n’eſt arriué qu’aucun de leurs ſectateurs les ait ſurpaſſez ; et ie m’aſſure que les plus paſſionnez de ceux qui ſuiuent maintenant Ariſtote, ſe croyroient hureux, s’ils auoient autant de connoiſſance de la Nature qu’il en a eu, encore meſme que ce fuſt a condition qu’ils n’en auroient iamais dauantage. Ils ſont comme le lierre, qui ne tend point a monter plus haut que les arbres qui le ſoutienent, & meſme ſouuent qui redeſcend, aprés qu’il eſt paruenu iuſques a leur faiſte ; car il me ſemble auſſy que ceux la redeſcendent, c’eſt-a-dire, ſe rendent en quelque façon moins ſçauans que s’ils s’abſtenoient d’eſtudier, leſquels, non contens de ſçauoir tout ce qui eſt intelligiblement expliqué dans leur autheur, veulent, outre cela, y trouuer la ſolution de pluſieurs difficultez, dont il ne dit rien & auſquelles il n’a peuteſtre iamais penſé. Toutefois, leur façon de philoſopher eſt fort commode, pour ceux qui n’ont que des eſprits fort mediocres ; car l’obſcurité des diſtinctions & des principes dont ils ſe ſeruent, eſt cauſe qu’ils peuuent parler de toutes choſes auſſy hardiment que s’ils les ſçauoient, & ſouſtenir tout ce qu’ils