Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/182

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métaphysique. Que voulait-il, en effet ? sinon opérer une révolution dans la science de la nature ; substituer à des principes surannés et qui avaient fait leurs preuves d’impuissance, de nouveaux principes, qui promettaient d’être efficaces. Pour cela ne fallait-il pas se prévaloir de Dieu lui-même, et invoquer son autorité absolue ? Les choses sensibles ne paraissaient fournir que matière à erreur ou à suspicion. Les choses intelligibles, au contraire, étaient l’objet de la démonstration et de la certitude. Comment faire pour étendre à celles-là le bénéfice de celles-ci, et annexer en quelque sorte les unes aux autres ? D’un côté, on avait une physique, la physique péripatéticienne, avec des notions obscures et confuses, trompeuses apparences ; et de l’autre, les mathématiques, avec des idées claires et distinctes, partant certaines, mais auxquelles la physique semblait réfractaire. Il fallait briser cette opposition par un coup d’état philosophique, et c’est ce que Descartes a prétendu faire. Jadis Moïse alla chercher le Décalogue au sommet du Sinaï, afin de l’imposer plus sûrement au respect de la foule. Notre philosophe (et l’état des esprits au xviie siècle lui en faisait encore une obligation) crut devoir aussi, pour faire accepter sa réforme, la présenter comme venant d’en haut. Il était parfaitement sincère d’ailleurs, son propre état d’esprit étant à cet égard celui de ses contemporains. Sans aller donc jusqu’à prendre l’attitude d’un prophète inspiré, il se laisse un moment ravir, et cela, non plus comme en novembre 1619 dans le songe plus ou moins trouble d’une nuit de fièvre, mais en pleine lucidité d’esprit, à l’enthousiasme que suscite en lui la contemplation d’un Dieu, foyer de toute lumière et de toute vérité[1].

  1. Tome VII, p. 52, l. 10-20. Pour cette phrase, unique dans ses écrits. Descartes sera plus tard noté par Voët comme un « enthousiaste », autant dire un « illuminé » : ce qui était peut-être, de la part d’un théologien, la pire accusation. (Tome VIII, 2e partie, p. 171-172.)