Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/294

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pouvoir l’expliquer par ses principes, et l’introduire ensuite dans un Traité de Mécanique de sa façon. Descartes y fut trompé d’abord : il se crut en présence d’un partisan de la vitesse selon Galilée, et déclara que Debeaune se mécomptait[1]. Mais lorsqu’il sut ensuite que celui-ci avait une autre doctrine, il voulut bien l’examiner ; et ce lui fut une occasion de faire connaître lui-même quelque chose de ses pensées. Il maintint d’ailleurs que la considération de l’espace seul et du poids suffisait à établir le principe de la Statique[2].

Il est amené à éclaircir de même cette autre idée de force qui, jointe à celle de l’espace parcouru, constitue le principe : il veut dire la force ou puissance qui sert à élever un fardeau à l’aide d’un engin : ce qui doit dissiper tout malentendu. Le terme de force, en effet, était l’un des plus usités dans la terminologie scolastique, et de ceux aussi dont on abusait le plus. Il exprimait une notion confuse, empruntée à l’union de l’âme et du corps : par exemple, la force que déploie un homme pour soulever un fardeau, laquelle n’est point exactement mesurable ; l’épreuve actuelle que cet homme fait de sa force, n’épuise pas celle-ci, et il en a une réserve qu’on ne saurait non plus calculer ; deux choses sont ici mêlées, une action qui produit un effet utile au dehors, et un sentiment intérieur d’effort plus ou moins pénible. Tout autre est la force dont parle Descartes : ce sont les 200 livres au moment où ils font monter le fardeau à la hauteur d’un pied, ou bien les 50 livres qui le haussent de 4 pieds ; c’est la force appliquée, au moment même où elle s’applique, qu’elle provienne d’un homme, ou d’un instrument inanimé, poids ou ressort. Le philosophe restitue ainsi au mot de force un sens tout matériel, ou plutôt mécanique ou mathématique, qui le rend susceptible d’une mesure exacte, et d’être introduit dans un rapport, dans une proportion : c’est le nombre qui, multiplié par la dimension de

  1. Tome II, p. 443, l. 4-6, et p. 467, l. 13-17 : lettres du 15 nov. 1638, et de déc. 1638.
  2. Ibid., p. 543-544 : lettre du 30 avril 1639.