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TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

terroge quelqu’un sur ce qui s’est passé la veille, il est incapable de me faire une réponse intéressante. »

Son récit montre du reste que lui-même a été entraîné par le courant contre lequel il met en garde. Le style est rempli d’impropriétés, les pages sont encombrées de répétitions et l’intérêt narratif va décroissant. L’œuvre de Mouley Rhassoum est plus faible encore : nous sommes arrivés à l’absolue sécheresse des annales et des obituaires.

Pourquoi n’écrit-on plus de livres et a-t-on délaissé même les annales ? C’est la question que J’ai posée aux marabouts de Tombouctou. « Il n’y a plus parmi nous d’hommes assez savants, m’ont-ils répondu. Nous ne pouvons plus nous consacrer exclusivement à la science, ni acheter des livres, ni voyager et compléter notre instruction au Caire, à Fez ou ailleurs. Nous sommes aujourd’hui les plus pauvres du pays. Autrefois on notait même les faits peu intéressants ; on comptait les jours où il tombait de l’eau pendant la saison d’hivernage, on écrivait : celui-ci vient de se construire une jolie maison, celui-là a épousé une telle. Car Ahmed Baba avait enseigné jadis de quelle importance était la science des faits et des dates[1]. Alors la ville était riche, chacun cherchait à faire plaisir aux mara-

  1. Voici l’anecdote que l’on me raconta à ce propos et qu’Ahmed Baba à consignée, en effet, au commencement de son Lipti Hadj :
    « Ce qui prouve bien l’utilité de la science des dates, c’est ce qui survint entre le Chef des chefs Omar ou un autre général musulman, et un juif qui lui apporta un écrit par lequel le Prophète avait ordonné d’exempter d’impôt les gens de Khaibar (ville juive de l’Arabie). Cet écrit était accompagné du témoignage de compagnons du Prophète, entre autres d’Ali Ibn Abou Thaleb. Ces documents furent apportés au Chef des chefs et jetèrent tout le monde dans un grand étonnement. On s’en rapporta au jugement d’Abou Bekr, le prédicateur, homme prudent et doué d’une grande mémoire. Celui-ci réfléchit un instant, puis dit : « Tout ceci n’est qu’un mensonge ». — « Comment cela, lui dit-on ? « Je trouve, répondit-il, dans cette lettre le témoignage de Mo’awia, or il n’embrassa l’Islam que l’année de la prise de Kaibar ; j’y vois aussi le témoignage de Sa’ad ben Mo’adh, or celui-ci mourut à la journée de Bani-Karaide antérieure elle-même à la prise de Kaibar. » Cette chose amusa beaucoup les gens.