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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/48

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LES DEUX TESTAMENTS

Par ce qu’on lui avait dit, il s’était fait une idée qu’un frère était une espèce de croque mitaine, et comme il n’avait pas confié ses impressions à personne, on ne s’était jamais avisé de rectifier ses opinions.

Ce n’était donc pas étonnant que ce pauvre enfant fût terrifié.

Enfin ils arrivèrent à leur destination, et Joseph, qui gardait cependant une attitude fière et digne, bien qu’il fût glacé de terreur, suivit son oncle hors du train, qui repartit aussitôt, laissant en arrière une longue trace de fumée, que le petit suivit des yeux avec une expression désespérée, car ce train qui l’avait transporté de sa ville natale lui semblait le dernier lien entre lui et le passé.

Ayant marché quelque temps, son oncle s’arrêta devant une grande barrière qu’il poussa devant lui et pénétra dans une enceinte ombragée par des grands arbres. Il suivit une allée de sable qui menait tout droit à un grand édifice en pierre grise.

Une autre personne aurait admiré les beaux grands arbres verts et l’édifice qui ne manquait pas d’élégance, mais terrifié comme il l’était, le jeune orphelin trouva que le bâtiment ressemblait en tout point aux demeures des ogres dont sa grand’mère lui avait parlé dans ses contes, et l’ombre des grands arbres lui parut sombre et terrible.

Ce fut la même chose quand il fut entré dans l’école et qu’il fut présenté au bon frère Jérome, le directeur, qui avait à la vérité un air imposant et sévère, bien qu’un observateur eût pu lire la justice et la bonté dans chaque ligne de son visage.

Mais il était trop grand, trop large d’épaules, et trop majestueux, et sa voix était trop basse et trop caverneuse pour inspirer au jeune Joseph, que la terreur rendait fou, autre chose que la crainte et la méfiance.

Il ne trouva donc rien à répondre aux paroles encourageantes du frère, qui conclut par là, que le veuf avait raison de dire, comme il l’avait fait dans une lettre qu’il avait envoyée la semaine précédente, que cet enfant était insoumis, violent et grossier.

Le regard du veuf semblait lui dire.

— Vous voyez bien que j’avais raison.

Et comme le font trop souvent bien des gens, d’ailleurs pleins d’esprit et de bonté, il jugea d’après les apparences et inscrivit mentalement ce futur élève sur la liste des enfants envers lesquels il fallait