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Page:Fouillée - Descartes, 1893.djvu/92

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DESCARTES.

sérieusement chercher la vérité, il ne faut pas s’appliquer à une seule science. » Précepte auquel devrait revenir le spécialisme outré de notre époque.

Enfin, comme Kant, Descartes eut toujours devant l’esprit une idée qui marquait à ses yeux les bornes de la philosophie même : radicale incompréhensibilité de la puissance d’où tout dérive. Le premier principe des choses, en fondant les lois intelligibles de l’univers, fonde sans doute la possibilité de la science ; mais, en même temps, cette puissance première d’où tout sort est tellement « infinie » que nous ne saurions, nous, assigner des bornes au possible ni au réel. Les lois mathématiques, les lois logiques elles-mêmes, toutes les « vérités éternelles », à commencer par le principe de contradiction, ne sont primordiales que pour notre intelligence, telle qu’elle est constituée ; en elles-mêmes, elles sont dérivées d’une puissance insondable, à laquelle nous n’avons plus le droit de les imposer. C’est, dit Descartes, parler du premier principe « comme d’un Jupiter ou d’un Saturne, l’assujettir au Styx et aux destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui ». À ce fond dernier de « toute existence » et de « toute essence » Descartes donne le nom de « volonté » ; par là encore, il annonce Kant et Schopenhauer. « L’univers comme volonté et représentation », dont parle Schopenhauer, et qui est la conception fondamentale de l’idéalisme contemporain, c’est précisément l’univers de Descartes. Dans le suprême principe des choses — et dans l’homme