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396 GAZETTE DES BEAUX-ARTS peu imprévues, objections qui, même exactes, lui auraient été pré¬ sentées peut-être avec un trop gros bon sens, oublieux de la recherche principale de Guys : le caractère, le mouvement, l’acuité? 11 avait commencé tard à dessiner; sans doute sa fierté lui déconseilla d’être jamais un débutant. Pourtant la fierté ni l’orgueil ne sont les caractéristiques de cette physionomie, d’après ces portraits de Nadar qui, il faut le dire, ne nous retracent qu’un Guys vieilli, âgé de soixante-deux ans. Sur son torse, les vêtements godent, familiers, usuels, désobéissent aux idées reçues sur le dandysme, même selon la théorie de Baudelaire, qui recommande le vêtement ample et commode. Ces deux portraits, datés de 1865, accusent une très lointaine ressemblance de Guys et de Baudelaire, plutôt une affinité; ce sont gens de même acabit avec des signes pareils de sensitivité douloureuse et de souffrances subies ; le ne/ est long, charnu, aux narines lourdes et palpitantes, des ravines profondes se creusent aux coins de la bouche. Ce n’est point là le portrait d’un homme heureux, à la curiosité toujours en éveil, émoustillée par le spectacle de la rue. Les yeux sont d’un contem¬ platif; tout l’aspect est las. Si Guys — consultons sur son carac¬ tère ces documents photographiques — s’est plu à l’étude de la foule, ce n'est point en vignettiste amusé de sa bigarrure, c’est à la ma¬ nière de l’observateur angoissé qui interpréta Y Homme des foules, de l’écrivain qui suivait un mélancolique amoureux du mouvement et de la lumière pour savoir de quoi et comment il souffrait, et le pourquoi douloureux de l'adhésivité de ce contemplateur morose à tout ce qui était du bruit, de l’aspect de vice et de plaisir, du remous de passants. Joie amère de voir passer en détail les personnages d’une époque qui vous opprime, d’en énumérer les piètres apparats, d’en visiter, en contraste, les pauvres refuges des humbles, où pénètrent tout de même, rarement des buveurs d’ambroisie, et quel¬ quefois, dans ces bouges, d’assister longuement au joyeux passage des étudiants et des soldats, à la solennelle entrée des notaires! Et l’homme qui est assis dans un coin, un minuscule carnet de notes au creux de la main, est là un peu comme un Faust à la kermesse (avec naturellement son Méphisto intérieur), et peut-être donnerait-il beaucoup pour voir apparaître dans ces riddecks sombres quelque chose de la ligne d’Hélène, que ces désheurés cherchent, à des jours sombres, où ils peuvent, et, par une certaine disposition énervée de l’esprit, là où elle ne se peut rencontrer. Voilà une comparaison bien littéraire; mais il semble que, pour