Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/87

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bourrelet des paupières. Ils regardent Victor, fixement.

— Restons pas là, dit Céline.

Le noyé continue à les regarder de ses prunelles brouillées que l’eau fait chavirer.

— On dirait qu’il vit, dit Victor.

Le mouvement qu’il fait effraye Céline. Elle crie.

— Tu es bête, dit Victor. Il est mort !

Ils restent, serrés l’un à l’autre, trempés par la vague qui monte et fait vaciller le corps, lui imprimant de petites secousses de vie.

— Il nous regarde, dit Céline. On dirait qu’il est fâché.

Une lame de fond, d’une volute soudaine, soulève le mort et le jette contre leurs pieds avec un crachement d’eau. Cette fois, Victor crie, cramponné à Céline. Ils s’enfuient, ils courent avec des frissons, ils courent en haletant, ils courent, trébuchant dans le sable sec qui colle à leurs jambes. La vague, derrière eux, semble les poursuivre, crachant inexorablement ses paquets d’eau montante. Céline, la première, s’arrête, se retourne.

— Il est resté là-bas…

Victor tourne la tête. Il s’arrête, il respire, il s’essuie le front.

Céline dit :

— Tu as eu peur, hein !