Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/79

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vraiment effrayé tous ceux qui auraient pu la contempler, je veux dire la comprendre.

Emmelina, encore une fois (j’y insiste parce que ce point est essentiel pour que l’histoire de Mlle Irnois soit bien comprise), Emmelina ne cherchait en aucune façon à se rendre compte du comment et du pourquoi de ce qui se passait en elle. Elle ne savait pas même le nom du sentiment qui possédait son être tout entier d’une manière aussi étrange.

Faut-il pousser l’aveu jusqu’à l’extrême ? Avant le jour où elle avait, pour la première fois contemplé, avec un bonheur vraiment épanoui, le jeune homme à sa fenêtre, elle n’avait eu aucune vie morale, elle était presque idiote ; à dater de ce moment, elle était devenue une sorte d’extatique.

Aussi indifférente qu’autrefois au reste des événements de la vie, elle existait dans le coin de passion qui s’était ouvert pour elle ; elle ne souhaitait rien, ne prévoyait rien ; elle aimait comme un chien aime son maître, sans passé, sans avenir, sans exigence, sans gaîté même à vrai dire, car la puissante sensation par laquelle son être était dominé ne saurait avoir pour nom un des mouvements, un des états ordinaires de l’âme. Elle n’était pas heureuse ; si je l’ai dit, je me suis trompé ; elle était plus qu’heureuse, elle était vivante ! Vivante, oui ! Mais dans son amour seulement, car, de tout autre côté, plus morte que jamais.

Voilà dans quelle situation se trouvait Emmelina le soir où elle accepta avec un bonheur si vif l’idée de quitter sa famille pour suivre le comte Cabarot, singularité qui excita tant de surprise.