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ment détruite par l’incendie. Puis il inventait les conférences en dessin qui eurent un si grand succès ; en moins d’une heure, il couvrait de croquis gigantesques des kilomètres de papier sans fin, touchant à tout : à l’art, à l’histoire, à l’actualité, à l’ethnographie, voir même à la morale, témoin la conférence qu’il fit un soir dans une église de Boston en prenant pour sujet : les bienfaits de la tempérance.

Cette fois l’artiste au crayon rapide a traversé l’Océan pacifique. Il s’est abattu sur le Japon et a fait à Kiosaï l’honneur de le choisir pour lutteur.

Kiosaï a accepté le combat.

Et les voici tous deux l’œil enflammé, la respiration retenue, s’attaquant l’un l’autre, dessinant avec hâte, avec fureur, cherchant à faire vite et parfait.

— Fini ! s’écria Félix.

— Yoroshi ! riposte Kiosaï.

Et les deux portraits apparaissent ressemblants, cela va sans dire, mais surtout étonnants de hardiesse et d’ingéniosité dans le procédé.


Kiosaï dessiné par Régamey.

Alors, moi de m’écrier dans mon enthousiasme :

— Bravo, Kiosaï ! Bravo, Régamey !

Quelques jours après, Kiosaï vint nous rendre à l’hôtel la visite que nous lui avions faite.

Comme il savait mon goût pour la science des religions, il m’apporta un bouddha pénitent qu’il avait peint exprès pour moi. On voit dans cette composition quelle verve peut avoir l’artiste japonais, même quand il s’attaque à un sujet classique. Le Sakia-Mouni de Kiosaï est à la fois concentré et resplendissant. Assis sur la paille, comme Job, il réfléchit à outrance sans s’apercevoir que ses ongles poussent et que son estomac se creuse. La bosse de la révélation surgit au milieu de ses cheveux incultes, et l’amplitude de ses vêtements aux contours luxueux indique