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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/116

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idées qui passaient dans son âme, épiant chaque chose de son cœur pour l’attirer au dehors, pour la déshabiller, pour la donner toute nue à la foule.

Son âme tournait en lui comme un gouffre vivant, il voulait l’arrêter, mais ce gouffre-là l’entraînait lui-même ; il commençait à se sentir faiblir et il se disait :

— Malheur ! malheur ! qu’ai-je donc ? le feu brûle mon âme, mais ma tête est de glace ; autrefois j’avais des pensées, plus une seule ! je sens seulement des passions sans but, qui roulent en moi, comme des vagues qui s’entrechoquent par une nuit sombre. Que dire ? que faire ? Cela même.

Oh ! la misère ! je ne pourrai donc pas pousser un seul soupir que tout craque, s’écroule, se brise en moi ! Mon âme se gonfle, elle m’étouffe, elle va crever le corps qui la recouvre comme une main gonflée qui déchire le gant. Pourquoi donc ? Quelle malédiction !

Écris, écris donc, malheureux, puisque le démon t’y pousse !

Oui ! la pensée est en moi, je la sens qui se meut comme un immense serpent, je la vois comme un large horizon qui se déploie à l’aurore, le soleil brille, la brume s’envole, la voilà qui monte, elle grandit, elle approche, je la tiens… Tu es à moi, à moi !

Comme cela est beau, sublime ! J’ai donc du génie, moi ? Non, non, hélas !

Voilà que tu t’envoles donc, chère illusion ? et toi aussi, orgueil, tu me quittes ? Qu’aurai-je ?

Et cependant… tout n’a pas été dit ! Voyons, creusons, remuons mon âme, dût-elle ensuite me tomber en poussière dans les mains.

L’amour ! l’amour ! eh bien ? ah ! quelle misérable vanité ! Est-ce que jamais des vers diront tous les miracles d’un sourire ou toutes les voluptés d’un regard ? l’amour ! quand j’aurai bien répété cela des fois, est-ce que j’aurai dit quelque chose de plus ? Non !