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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/160

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MADEMOISELLE RACHEL.

Mlle Rachel, hélas ! a pris congé de nous, hier soir. L’adieu que nous lui avons donné (est-ce bien vraiment le dernier adieu ? espérons que non et qu’elle consentira à reparaître au moins dans Bajazet, où nous avons encore tant envie de l’applaudir), cet adieu, triste pour nous, était plein d’enthousiasme et de regrets. On l’a rappelée comme de coutume, on lui a jeté des couronnes, les plus rustres se sont sentis émus, les plus grossiers étaient touchés, les femmes applaudissaient dans les loges, le parterre battait de ses mains sans gants, la salle trépignait ; et à l’heure où j’écris ceci à la hâte j’en suis encore tout troublé, tout ravi, j’ai encore la voix de la grande tragédienne dans les oreilles et son geste devant les yeux.

Je me la rappellerai longtemps, ainsi qu’une statue grecque largement drapée qui eût ouvert les lèvres et dit des vers d’Euripide, car c’est là de l’art grec, et du plus pur et du plus simple ; en l’écoutant on se prend à rêver à je ne sais quel profil idéal et classique, c’est en effet ce qui d’abord saillit dans son jeu. Mais il n’y a pas seulement la pose forte de la Muse antique, le geste accablant, le mot bien dit, il n’y a pas seulement profil pur et ligne découpée, il y a avant tout le cœur qui anime chaque mot, fait parfois d’un vers toute une scène, toutes les qualités de diction et de jeu, en un mot, également et habilement menées, sous une inspi-