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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/97

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teuses comme une suite d’images dans un songe d’amour.

Elles venaient lui jeter des fleurs à la figure, en dansant autour de lui ; elles s’entrelaçaient avec leurs bras ronds et blancs sur leurs hanches de marbre, on voyait leur cou de cygne se ployer en arrière et leur gorge remuer comme si elles eussent chanté. Car elles chantaient, mais si bas, si confusément que Smarh n’entendait que des sons doux et faibles, comme ceux d’une flûte au dernier soupir d’une vibration mourante. Elles allaient dans le fleuve, et en ressortaient avec leurs beaux corps tout humides et leurs cheveux mouillés sur leurs seins ; souvent le flot d’azur les apportait devant lui, comme dans des bras invisibles et embaumés.

Smarh alors sentit en lui quelque chose qui montait comme une vague géante ; il avait devant lui je ne sais quelles illusions, qui éclairaient son cœur et le menaient déjà dans un avenir tout plein de délices, il voulait courir après, mais il lui échappait toujours et il courait toujours.

Elles étaient si belles ! il y en avait qui descendaient de la nue grise, d’autres qu’apportaient les flots, d’autres qui sortaient de dessous terre, d’entre les herbes, les fleurs, et qui semblaient venir soit d’un rayon de la lune, soit du parfum d’une rose, oh ! belles ! belles ! et si fines, si transparentes, qu’on les aurait prises pour les plus beaux rêves d’un poète ! Il y en avait de blanches avec des cheveux d’or, d’autres qui étaient brunes, ardentes, et qui avaient des yeux noirs qui semblaient lancer des jets de flammes.

C’était si beau de voir cette guirlande de femmes nues, entrelacées et remuant toutes, que Smarh courait dévoré par la rage. Elles lui échappaient des mains, et puis elles revenaient devant lui. Il avait un désir, un désir immense ; son âme était une chaudière rouge où se brûlait, toute torturée, une passion gigan-