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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IV.djvu/381

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UN GROUPE QUI A FAILLI DEVENIR…

Grèce redevient la Grèce ; l’Italie redevient l’Italie. La protestation du droit contre le fait persiste à jamais. Le vol d’un peuple ne se prescrit pas. Ces hautes escroqueries n’ont point d’avenir. On ne démarque pas une nation comme un mouchoir.

Courfeyrac avait un père qu’on nommait M. de Courfeyrac. Une des idées fausses de la bourgeoisie de la restauration en fait d’aristocratie et de noblesse, c’était de croire à la particule. La particule, on le sait, n’a aucune signification. Mais les bourgeois du temps de la Minerve estimaient si haut ce pauvre de qu’on se croyait obligé de l’abdiquer. M. de Chauvelin se faisait appeler M. Chauvelin, M. de Caumartin, M. Caumartin, M. de Constant de Rebecque, Benjamin Constant, M. de Lafayette, M. Lafayette. Courfeyrac n’avait pas voulu rester en arrière, et s’appelait Courfeyrac tout court.

Nous pourrions presque, en ce qui concerne Courfeyrac, nous en tenir là, et nous borner à dire quant au reste : Courfeyrac, voyez Tholomyès.

Courfeyrac en effet avait cette verve de jeunesse qu’on pourrait appeler la beauté du diable de l’esprit. Plus tard, cela s’éteint comme la gentillesse du petit chat, et toute cette grâce aboutit, sur deux pieds, au bourgeois, et, sur quatre pattes, au matou.

Ce genre d’esprit, les générations qui traversent les écoles, les levées successives de la jeunesse, se le transmettent, et se le passent de main en main, quasi cursores, à peu près toujours le même ; de sorte que, ainsi que nous venons de l’indiquer, le premier venu qui eût écouté Courfeyrac en 1828 eût cru entendre Tholomyès en 1817. Seulement Courfeyrac était un brave garçon. Sous les apparentes similitudes de l’esprit extérieur, la différence entre Tholomyès et lui était grande. L’homme latent qui existait entre eux était chez le premier tout autre que chez le second. Il y avait dans Tholomyès un procureur et dans Courfeyrac un paladin.

Enjolras était le chef, Combeferre était le guide, Courfeyrac était le centre. Les autres donnaient plus de lumière, lui il donnait plus de calorique ; le fait est qu’il avait toutes les qualités d’un centre, la rondeur et le rayonnement.

Bahorel avait figuré dans le tumulte sanglant de juin 1822, à l’occasion de l’enterrement du jeune Lallemand.

Bahorel était un être de bonne humeur et de mauvaise compagnie, brave, panier percé, prodigue et rencontrant la générosité, bavard et rencontrant l’éloquence, hardi et rencontrant l’effronterie ; la meilleure pâte de diable qui fût possible ; ayant des gilets téméraires et des opinions écarlates ; tapageur en grand, c’est-à-dire n’aimant rien tant qu’une querelle, si ce n’est une émeute, et rien tant qu’une émeute, si ce n’est une révolution ; toujours