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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/405

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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

On lit dans les carnets de Victor Hugo :


2 décembre. M. A. Lacroix est arrivé ce matin (reçu de M. Lacroix à titre de dépôt provisoire la somme de 4,950 livres sterling).


Lacroix resta quelques jours à Guernesey. Il s’agissait de rédiger le traité annexe de 60,000 francs relatif aux traductions. Victor Hugo dit dans ses carnets :


4 décembre. J’ai signé ce soir avec M. Lacroix le traité annexe relatif aux Misérables.

5 décembre. J’ai remis à M. Lacroix les deux premiers volumes des Misérables, repris le reçu provisoire et touché le premier payement, 125,000 francs.

6 décembre. M. Lacroix est parti ce matin pour Paris par Le Havre, emportant la première partie du manuscrit des Misérables.


LA FABRICATION DU LIVRE.

Lacroix qui allait, par cette publication, se mettre au rang des grands éditeurs, et dont le nom serait rapidement connu, n’a plus qu’une hâte, c’est de faire paraître cette première partie. Il la lit avant de l’envoyer à l’imprimerie, et il est ravi ; s’il admire avec enthousiasme le début du roman, il se flatte aussi d’avoir été clairvoyant en mettant la main sur une œuvre qu’il croyait d’ores et déjà appelée à un grand retentissement.


Victor Hugo reçoit les premières épreuves le 9 janvier 1862, douze feuilles d’un seul coup. Il en corrige quatre dans sa journée et les renvoie aussitôt ; en même temps il remercie Lacroix qui lui avait adressé des éloges enflammés :


Vous me communiquez votre émotion avec une réelle éloquence et en termes qui honorent l’écrivain autant que l’éditeur. Vous avez écrit là, au courant de la plume, une fort belle page de haute philosophie littéraire et sociale. J’ai reconnu en vous, du premier jour, une noble et chaleureuse intelligence.


Victor Hugo ne se doutait guère, au moment où il livrait la première partie de son roman, des graves difficultés qu’il allait rencontrer, et du travail considérable auquel il se condamnait. Il était à Guernesey et ne voulait pas quitter son île. Ses éditeurs étaient à Bruxelles. On imprimait à Paris et à Bruxelles, et Paul Meurice et Auguste Vacquerie revoyaient les épreuves à Paris ; d’où voyages incessants d’épreuves, échange de longues lettres entre l’auteur, l’éditeur et les amis fidèles qui lui prêtaient leur concours. De plus, à peine la première partie du manuscrit avait-elle été remise à l’imprimerie qu’il fallait lutter contre la contrefaçon. La correspondance à ce sujet est particulièrement caractéristique.

Lacroix écrit de Bruxelles à Victor Hugo le 19 janvier :


Je vous transmets avec la présente une pièce rédigée en allemand pour la soumettre à votre signature. Voici ce dont il s’agit :

En Allemagne la contrefaçon est possible vis-à-vis des étrangers, mais ne l’est point vis-à-vis d’un allemand, éditeur patenté, et la législation sauvegarde les droits de propriété littéraire d’un état à l’autre ; la Saxe seule a un traité avec la France. Si un éditeur avait acquis de vous, mon cher Monsieur, la propriété des Misérables ou un droit sur les Misérables, directement, il se trouverait, par cela même qu’il est investi d’un droit acquis, en vertu du traité qui lie la France à la Saxe, littérairement, et par cela même qu’il est saxon et éditeur allemand patenté, à l’abri de toute contrefaçon en Allemagne, mais il faut qu’il soit l’éditeur ou censé l’éditeur et qu’il produise un titre lors du dépôt légal à effectuer. Nous avons donc pris nos mesures en conséquence pour l’Allemagne, et le gérant de notre maison de Leipzig consent à couvrir nos intérêts en Allemagne de son nom et de ses droits. Votre intervention est nécessaire. Ceci n’est en réalité qu’un contrat fictif, car M. Steinacher-Einhorn nous donne une