Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

Marius ne répondit pas.

— Ah ! continua-t-elle, vous avez un trou à votre chemise. Il faudra que je vous recouse cela.

Elle reprit avec une expression qui s’assombrissait peu à peu : — Vous n’avez pas l’air content de me voir ?

Marius se taisait ; elle garda elle-même un instant le silence, puis s’écria :

— Si je voulais pourtant, je vous forcerais bien à avoir l’air content !

— Quoi ? demanda Marius. Que voulez-vous dire ?

— Ah ! vous me disiez tu ! reprit-elle.

— Eh bien, que veux-tu dire ?

Elle se mordit la lèvre ; elle semblait hésiter comme en proie à une sorte de combat intérieur. Enfin elle parut prendre son parti.

— Tant pis, c’est égal. Vous avez l’air triste, je veux que vous soyez content. Promettez-moi seulement que vous allez rire. Je veux vous voir rire et vous voir dire : Ah bien ! c’est bon. Pauvre monsieur Marius ! vous savez ! vous m’avez promis que vous me donneriez tout ce que je voudrais…

— Oui ! mais parle donc !

Elle regarda Marius dans le blanc des yeux et lui dit :

— J’ai l’adresse.

Marius pâlit. Tout son sang reflua à son cœur.

— Quelle adresse ?

— L’adresse que vous m’avez demandée !

Elle ajouta comme si elle faisait effort :

— L’adresse… vous savez bien ?

— Oui ! bégaya Marius.

— De la demoiselle !

Ce mot prononcé, elle soupira profondément.

Marius sauta du parapet où il était assis et lui prit éperdument la main.

— Oh ! eh bien ! conduis-moi ! dis-moi ! demande-moi tout ce que tu voudras ! Où est-ce ?

— Venez avec moi, répondit-elle. Je ne sais pas bien la rue et le numéro ; c’est tout de l’autre côté d’ici, mais je connais bien la maison, je vais vous conduire.

Elle retira sa main et reprit, d’un ton qui eût navré un observateur, mais qui n’effleura même pas Marius ivre et transporté :

— Oh ! comme vous êtes content !

Un nuage passa sur le front de Marius. Il saisit Éponine par le bras.

— Jure-moi une chose !

— Jurer ? dit-elle, qu’est-ce que cela veut dire ? Tiens ! vous voulez que je jure ?