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APPENDICE.

ces vers d’Abou-Mihdjen[1], en les appliquant à sa propre position.

C’est pour moi assez de douleur que d’être laissé dans les fers, pendant que les chevaux et les cavaliers s’élancent au combat. Quand je me lève, le poids de mes chaînes m’accable, et les portes qui mènent au festin restent fermées devant moi.

Ocba, auquel on rapporta ces paroles, le fit mettre en liberté et lui ordonna d’aller rejoindre les musulmans [à Cairouan], et d’en prendre le commandement ; « quant à moi, lui dit-il, je veux gagner le martyre. » — « Et moi aussi ! répondit Abou-’l-Mohadjer, je veux partager ton sort. » Ocba fit alors une prière de deux rékas, et brisa le fourreau de son épée. Abou-’l-Mohadjer fit de même, ainsi que les autres musulmans. Les cavaliers mirent pied à terre par l’ordre d’Ocba, et combattirent avec intrépidité jusqu’à la mort : pas un n’en échappa[2].

Zoheir-Ibn-Caïs prit alors la résolution d’attaquer les Berbères ; mais ses troupes refusèrent de lui obéir. Il se rendit, en conséquence, à Barca où la plupart des habitants de Cairouan allèrent le rejoindre. Koceila, à la tête d’une multitude immense, marcha sur Cairouan où quelques musulmans, qui n’avaient pu emporter leurs effets ni emmener leurs familles, restaient encore. Comme ils offraient de rendre la ville pourvu qu’on leur fît grâce, Koceila y donna son consentement et se trouva maître de Cairouan et de l’Ifrîkïa. Il y resta jusqu’au temps où l’autorité [du khalife] Abd-el-Mélek-Ibn-Merouan fut raffermie. Mention ayant été faite alors, en présence du khalife, de la triste position de Cairouan et des musulmans qui y étaient restés, on l’engagea d’y envoyer des troupes, afin de délivrer ce pays de Koceila.

  1. Le poète Abou-Mihdjen, natif de Thakîf, fut un des compagnons de Mahomet. Il était tellement adonné au vin que le général de l’armée arabe l’avait fait mettre aux arrêts peu de temps avant la bataille de Cadicïa. Dans les vers cités ici, le poète exprime ses regrets de ne pas pouvoir prendre part au combat qui allait se livrer. — Voyez son histoire dans le Journal Asiatique de février 1841.
  2. Quelques-uns furent faits prisonniers ; voyez ci-devant, page 288. — Ibn-Abd-el-Hakem place la mort d’Ocba en l’an 63 (682-3).