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L’ILE DU DIABLE


versait tous leurs plans. Dreyfus, soutenu par sa femme, entouré de ses enfants, vivra ; impossible d’aggraver la peine par des châtiments arbitraires, le régime cellulaire, l’éternel tête-à-tête de l’homme avec son cerveau ; l’espoir s’évanouit d’être débarrassé de l’innocent par une mort lente ou par la folie.

Le nouveau ministre de la Guerre, le général Zurlinden, tout le cabinet, que présidait Ribot, se laissèrent circonvenir. Chautemps demanda, par dépêche, au directeur des Établissements de la Guyane s’il était matériellement possible d’installer Mme Dreyfus à l’île du Diable. Le directeur câbla (par ordre ?) que le régime auquel était soumis le condamné s’y opposait[1]. Cependant, rien n’eût été plus aisé que de construire une seconde case ; l’île avait été habitée, sous l’Empire, par plus de deux cents déportés. Et quelle loi condamnait Dreyfus à être seul, jusqu’à la mort, sur son rocher ?

La violation de la loi, le mensonge, étaient si flagrants, que Chautemps ni Félix Faure n’osèrent adresser un refus motivé à l’infortunée. Leur seule réponse fut le silence. Six mois plus tard, elle réitéra sa demande, son instante prière. Et le Conseil des ministres la repoussa encore, sous le même prétexte[2] ; et, encore une fois, on laissa sans réponse la malheureuse qui se désespérait.

Elle eût voulu saisir l’opinion de cette nouvelle iniquité ; on l’en dissuada.

L’an d’après, sous le ministère radical[3] qui avait succédé au cabinet Ribot, Mme Dreyfus fit une troi-

  1. Chautemps relata lui-même le fait dans une lettre au Figaro (10 septembre 1896).
  2. Octobre 1895.
  3. Le ministère du 1er novembre 1895 était ainsi composé : Présidence du Conseil et Intérieur, Bourgeois ; Justice, Ricard ;