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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le général du Guiny[1], un directeur de l’infanterie qui fasse ce que vous désirez. » Seul, un ministre peut le faire et, « pour agir auprès du ministre, il ne faut pas un militaire, il faut un civil influent ». Par exemple, explique le général, « un député, un sénateur », qui obtiendra l’ordre nécessaire. « Voilà le vrai moyen ; il n’y en a pas d’autre. À un militaire, on oppose le règlement ; à un civil, on ne le peut pas. » En conséquence, Esterhazy se fit donner par Grenier une lettre qui l’introduisait auprès de moi ; mais il n’en fit pas usage, ce qui ne l’empêcha pas de raconter à son ami que « j’avais été très bien[2] ».

En effet, il avait trouvé beaucoup mieux. Renseigné, à la Libre Parole, sur la campagne qui se préparait à l’occasion des procès intentés à la Compagnie du canal de Panama et sur le rôle attribué à Freycinet dans cette affaire, Esterhazy demanda audience au ministre et étaya sa requête de quelques avertissements. Le ministre, à en croire Esterhazy, fut ému, mais fit bonne figure :

  1. 7 octobre 1892, de Savenay (Loire-Inférieure).
  2. Lettre d’octobre 1892, sur papier de l’hôtel Terminus : « J’ai vu Reinach qui a été très bien. T… aussi. Mais vous comprenez bien que je ne peux pas raser ces gens-là indéfiniment. J’ai prié seulement Reinach de dire à Freycinet, s’il en trouvait l’occasion… » Dans trois autres lettres, l’une d’octobre, non datée, les deux autres du 9 et du 26 octobre, il est question de l’entrevue projetée avec moi (j’étais alors député) et de ma bonne volonté éventuelle. « Votre proposition pour Reinach me semble parfaite. S’il voulait vraiment agir !… Le voudra-t-il ? Voilà la question… » Or, je suis sûr de n’avoir jamais reçu la visite d’Esterhazy que j’ai vu, pour la première fois, au procès Zola, et dont la physionomie et la conversation m’auraient frappé. J’ajoute que, si Esterhazy était venu me solliciter, il m’aurait, par la suite, opposé, pour sa défense, ma recommandation. Bien au contraire, la Libre Parole ne cessa de raconter que j’avais recommandé Dreyfus à Miribel et à Freycinet, Picquart à Zurlinden, etc.