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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sans flamme, et qui le traduisait tout entier, un dégénéré très instruit qui se comptait lui seul pour tout et vivait concentré sur lui-même jusqu’à l’hallucination.

Sa mentalité, depuis quelques années, était pathologique. Il avait été envahi peu à peu par l’idée fixe que « des puissances occultes[1] » avaient entrepris de déshonorer la République à prix d’argent et que quiconque le gênait était un vendu.

L’idée fixe, la plus terrible des névroses, l’est surtout lorsqu’elle s’installe dans le cerveau d’un mathématicien qui s’imagine qu’il l’a raisonnée. Ces gens de science, même à l’état de santé, sont très dangereux quand ils se mêlent de politique. C’est une observation de Pascal que beaucoup de savants, « accoutumés aux principes nets et grossiers de la géométrie, se perdent dans les choses de finesse où les principes ne se laissent pas ainsi manier[2]. Ajoutez qu’ils se croient supérieurs au reste des hommes, incapables de résoudre comme eux ou seulement de comprendre les problèmes qui leur sont un jeu.

Tout cela était réuni chez Cavaignac, orgueil et tares héréditaires, ambition effrénée, hantise destructive des plus vulgaires facultés d’observation, et cette confiance illimitée en soi qui faisait pronostiquer à Mirabeau de Robespierre : « Il ira loin ; il croit tout ce qu’il dit. »

C’est ainsi que Cavaignac s’exaspérait contre « le Syndicat », parce que du premier jour il avait accepté la version de Drumont et des jésuites, et que cette explication s’accordait avec son idée fixe.

Il a taxé Méline de faiblesse et de complaisance pour les ennemis de l’armée ; il ne s’exposera pas au même

  1. Voir t. III, 237.
  2. Pensées, I, 285.