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CAVAIGNAC MINISTRE


il proclama la croyance suprême de cette conscience, muette désormais.

Buisson confessa combien lente et pénible avait été l’évolution de sa propre pensée ; éclairé maintenant, il se joint lui aussi, comme son ami, « à ceux des hommes de cœur qui ont entrepris de remonter un des plus aveugles et des plus formidables courants d’opinion qui ait jamais entraîné le pays » :

Pécaut, en s’unissant à eux, essayait de préserver la République, la France et l’armée du seul déshonneur qui pourrait les atteindre. Réparer une erreur, s’il y a eu une erreur, ce n’est pas une honte ; au contraire. Et c’en serait une, indélébile, que de prendre son parti d’une iniquité, même involontairement commise… Pour moi, je trahirais pour la première fois sa confiance et je n’oserais plus de ma vie prononcer son nom si, devant cette tombe ouverte, je retenais la vérité, si j’étouffais par le silence ce cri suprême du mourant, rassemblant ses dernières forces pour rendre témoignage à la cause sainte de la justice. Il me semble que son âme si pure et si tendre ne me pardonnerait jamais d’avoir ravi à « ses filles » de Fontenay et aux instituteurs de France qu’il n’a jamais flattés, mais dont il n’a jamais douté, le dernier exemple et la dernière leçon qu’il leur ait légués[1].

Les paysans béarnais, accourus en foule dans ce petit cimetière de village, pleuraient.

Bourgeois, dans une dépêche officielle, simple mais douloureuse, où il y avait comme du remords, salua le cercueil « de ce grand homme de bien[2] ».

  1. 3 août 1898.
  2. Les journaux nationalistes réclamèrent des mesures disciplinaires contre Buisson. — Melchior de Vogüé, dans son roman Les Morts qui parlent, railla « les leçons d’idéalisme, les