Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
CAVAIGNAC MINISTRE


ques, d’un si impétueux élan, mousquetaires et chevau-légers de la justice. De même Clemenceau. Il fut toujours sans ménagements pour ses adversaires, surtout quand ils avaient été de ses amis. Il ne calcula jamais ses coups. Ses coups d’autrefois, de la tribune, atteignirent parfois les meilleurs républicains, la République elle-même. Il blessa inutilement Brisson, le butta avec l’intention de le faire avancer en le piquant[1]. Mais, dans d’autres pages, il ne raisonna pas seulement à coups de trique, il éleva sa prose à l’ode, d’une éloquence parfois déclamatoire, mais qui rappelle celle des Tragiques de d’Aubigné, d’une confiance inaltérée dans l’esprit français : « Retournons-nous aux siècles maudits de catholique violence où l’exécrable reître mettait sa botte sur l’idée ? Non, le cri de la conscience ne sera pas étouffé… Des hommes, il y a des hommes en France !… Fonçons tout droit, nous ferons la trouée… Les Euménides sont en route[2]. »

Après sa défaite aux élections de 1893, on l’avait cru mort. Il renaissait dans cette chaude guerre, et plus jeune que jamais, plus vif, plus alerte. Durement, jusqu’alors, pendant trois ans, il avait tourné la meule ; la crinière de Samson repoussait.

Il avait souvent flatté la foule, fraternisé avec les démagogues. Maintenant, il disait au peuple ses vérités

    Bertrand, Laurent Tailhade, etc. Le rédacteur en chef, Depasse qui avait succédé à Henry Deloncle, garda dans cette feuille passionnée la tenue d’un journaliste de la vieille école.

  1. « Brisson se lamente de peur en son oratoire franc-maçon… Brisson préparant dans d’austères méditations la chute de sa patrie… Allons, Brisson, pas de faiblesse ! feu sur la vérité ! feu sur la justice ! et pour que l’exemple soit bon, je demande qu’Esterhazy tire le coup de grâce. » (Aurore des 12, 15, 17 août 1898, etc.)
  2. Aurore des 30, 31 juillet, etc. — Clemenceau réunit ses articles de cette époque sous ce titre : Vers la Réparation.