Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
LA MORT D’HENRY

Il y a quelques mois, Roget avait constaté par un procédé analogue les surcharges du petit bleu, en le regardant, « par transparence », devant une fenêtre[1] ; Cuignet avait assisté à l’expérience[2].

Il se reporta à la pièce de comparaison, datée de 1894, antérieure de deux ans, écrite, elle aussi, au crayon bleu. À la lampe, il observa la même anomalie, mais inversée, le corps de la pièce sur des fragments quadrillés en gris, l’en-tête et la signature sur des fragments quadrillés en violet. Ainsi les deux pièces avaient été reconstituées, fabriquées en même temps ; toutes deux étaient fausses.

La date de la pièce de comparaison était de la main d’Henry ; la lettre que le ministre avait portée à la tribune, qui était affichée sur tous les murs, Henry avait affirmé l’avoir trouvée, en 1896, dans le cornet, et reconstituée lui-même : Henry était un faussaire.

Une épouvante le prit, la même qui avait saisi Picquart deux ans auparavant, cet autre soir où lui apparut le néant du dossier secret[3].

Picquart, ce soir-là, acquit la certitude que Dreyfus, l’homme qui, depuis deux ans, incarnait la trahison, et qu’il n’avait jamais aimé, était innocent ; Cuignet était l’ami d’Henry, le savait entouré de l’estime et de la confiance de ses chefs ; l’instant d’avant, il le tenait pour un brave et bon soldat : c’était un criminel.

Il y a deux ans, les temps étaient calmes, propices aux réparations spontanées ; ils étaient devenus révolutionnaires, dans la tempête des passions.

  1. Instr. Tavernier, 2 novembre 1898, Roget. — Voir t. III, 610.
  2. Cass., I, 340 ; Rennes, I, 502, 513, Cuignet ; Cass., I, 121, Roget ; Rennes, I, 198, Cavaignac : « Cuignet voyait cette différence de coloration avec une netteté absolue. »
  3. Voir t. II, 293 et suiv.