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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


la double scélératesse d’avoir arrêté et accusé publiquement ce serviteur héroïque des grands intérêts de l’État, ce grand homme d’honneur » :

Colonel, il n’est pas une goutte de votre sang précieux qui ne fume encore partout où palpite le cœur de la nation… Nous n’avons pu vous faire les grandes funérailles dues à votre martyre. Il fallait secouer sur les boulevards la tunique sanglante et les lames souillées, promener le cercueil, arborer le drap mortuaire en manière de drapeau noir. Ce sera notre honte que de ne pas l’avoir essayé… Mais le sentiment national se réveillera, il vaincra et vous vengera. Avant peu de temps sortiront du sol de la patrie, dans Paris, dans votre village, les monuments expiatoires de notre lâcheté… Dans la vie comme dans la mort vous êtes allé en avant. Votre faux malheureux sera compté entre vos meilleurs faits de guerre.

Ce Maurras, qui avant d’écrire à la Gazette de France, travailla avec Gohier au Soleil d’Édouard Hervé (le plus correct des hommes et fort mal à l’aise entre ces deux extravagants), on l’eût pris, à lire sa prose, pour quelque fanatique du temps de la Ligue. — Depuis que la vieille mère de Mayenne et de Mme de Montpensier monta à l’autel des Cordeliers et, les cierges allumés, devant le peuple à genoux, célébra Jacques Clément[1], on n’avait entendu rien de tel. — C’était au contraire un sceptique, très peuple, très moderne, qui se fit royaliste et catholique non par intérêt, mais par boutade, à l’imitation, croyait-il, de Balzac, et qui vivait dans un perpétuel paradoxe, dont il s’amusait lui-même, surtout avec, la passion d’étonner et de forcer l’admiration.

Il la força cette fois, bien que Drumont eût été seul

  1. Michelet, Histoire de France, X. 356.