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BRISSON


le général ne lui fit rien savoir, pas même qu’il allait prouver son impartialité en frappant Du Paty.

Si Zurlinden avait été capable de réflexion, rien que cette enquête sur Du Paty[1] aurait suffi à l’avertir que Roget et Cuignet l’engageaient au rebours de la vérité. Renouard, une autre tête que Roget et qui n’apportait aucune passion dans l’Affaire, vit très bien, à travers la confession de Du Paty, mêlée de réticences et de menaces, et les aveux et les démentis contradictoires de Gonse, que celui-ci et Boisdeffre avaient connu la collusion avec Esterhazy. — Certainement, Du Paty atténuait la vérité quand il racontait qu’en venant au secours d’Esterhazy, « il avait cru seulement répondre à un désir de ses chefs » ; il y avait autre chose, puisque Du Paty n’avait pas craint de dire qu’il avait en lieu sûr des preuves écrites, et puisque Gonse lui-même convenait d’avoir voulu avertir le bandit par une lettre anonyme et d’avoir envoyé Du Paty chez Tézenas. — En conséquence, Renouard conclut que « la faute grave de Du Paty méritait d’être réprimée sévèrement », mais « en tenant compte de son passé et de son dévouement à ses chefs », en d’autres termes, que ceux-ci avaient participé au sauvetage d’Esterhazy.

Cette peur des chefs de l’État-Major qu’Esterhazy prît la fuite devant Scheurer, c’était l’aveu criant qu’ils ne le tenaient pas pour innocent ; mais comme il en résultait que Picquart n’était pas un faussaire et que tout était à recommencer, Zurlinden ne s’y arrêta pas. Repris comme il l’était par la camarilla militaire, il arrangea, dans sa cervelle d’oiseau, que Du Paty avait fait à Renouard un mensonge de plus. Il sentait cepen-

  1. 9 et le septembre. (Cass., II, 189 à 202.) L’ordre de Zurlinden est daté du 7.