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CAVAIGNAC MINISTRE


non pas seulement son patrimoine matériel, mais son patrimoine intellectuel et moral. » C’est donc pour eux, surtout, qu’il parle ; « tout ce qu’il peut apporter de vérité », c’est à eux qu’il l’offre. Et, sans doute, « le sentiment national a été tellement provoqué qu’il accepterait qu’on assurât le respect de l’armée par des mesures répressives, et seulement par des mesures répressives. Mais ce n’est pas là le genre de respect que l’armée réclame pour elle-même. Respectueuse de la justice comme elle l’est de la suprématie du pouvoir civil, il ne faut pas donner au pays l’impression, alors qu’elle n’a besoin de se défendre que par la vérité, qu’elle a besoin de se défendre contre la vérité par des raisons de salut public ».

On a oublié ces paroles pour se souvenir seulement du reste du discours ; c’est pourquoi je les rappelle. Il en est peu qui soient plus instructives, où paraisse mieux la misère de l’éloquence, l’éternelle piperie des mots.

Il ne fallait plus qu’une chose : que Cavaignac fît surgir la vérité de l’ombre, tirât le rideau.

Il jura, et, de sa part, ce n’était pas un parjure, qu’il avait « la certitude absolue de la culpabilité de Dreyfus ».

Et, une fois encore, avant d’aborder la démonstration promise, il fut éloquent : « Jamais aucune raison de salut public, quelle qu’elle fût, ne pourrait me déterminer à maintenir un innocent au bagne… S’il s’agissait d’un innocent, tout ce qu’on voudrait ; mais, puisqu’il s’agit d’un coupable, rien… Nous sommes maîtres de traiter nos affaires chez nous comme nous l’entendons[1] ! »

Les radicaux, les nationalistes exultaient. Le chan-

  1. Applaudissements vifs et répétés sur tous les bancs.