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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

il fallait autre chose que ces gestes de théâtre, que l’approche même de la justice, pour pousser au pire, au désordre matériel, au conflit où interviendrait l’armée. Guérin, qui avait compris qu’on ne la ferait pas sortir de la discipline, pensa qu’on la pourrait faire au moins sortir de ses casernes.

Depuis le 13 septembre, plusieurs centaines de terrassiers parisiens, occupés aux travaux de l’Exposition Universelle, s’étaient mis en grève, pour dix centimes de plus par heure (60 au lieu de 50) que ces pauvres gens réclamaient des entrepreneurs. L’opinion leur était favorable ; le bureau du Conseil municipal de Paris, après avoir tenté en vain de s’entremettre, vota un secours de 20.000 francs. Bientôt les autres corporations du bâtiment, maçons, serruriers, se déclarèrent solidaires de leurs camarades. Au commencement d’octobre, les grévistes de 2.000 avaient passé à 20.000. Déroulède et Rochefort offrirent leur concours ; les ouvriers refusèrent, voulant rester étrangers à la politique.

Tout à coup, la grève devint violente, à l’heure même où les terrassiers, qui l’avaient commencée, obtenaient satisfaction. À la Bourse du travail, Allemane et quelques anarchistes avaient beaucoup déclamé. Rien d’étonnant que leurs âpres sottises eussent chauffé des têtes. Mais des figures nouvelles, suspectes, apparurent dans les groupes ; on sut que de l’argent avait été distribué ; de durs débardeurs, d’autres encore, à moitié ivres, se ruèrent aux chantiers, sur les réfractaires qui y étaient restés, sur les ouvriers qui y étaient revenus, cassèrent les outils et des têtes. Ce mélange du peuple et de la crapule qui fait les émeutes engagea de véritables combats avec la police. Elle réclama le secours de la troupe. C’est ce qu’avait prévu Guérin. En ce mois des vendanges, toute la lie fermentait.