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BRISSON


lerait, en plein dix-neuvième, devant un tribunal anglais. C’est à peu près la sensation qu’on éprouve à passer, en ces mois de septembre et d’octobre 1898, du Cherche-Midi à la Cour de cassation.

Le président de la Chambre criminelle, Lœw, était Alsacien, comme Dreyfus et Picquart, mais ne les avait jamais connus[1]. Vieil ami de Sandherr et longtemps sa dupe, il ne savait encore de l’Affaire que ce qu’il en avait lu dans les journaux. L’hiver précédent, le docteur Gibert, l’ami de toute sa vie, avait voulu lui démontrer l’innocence de l’homme de l’île du Diable. Lœw refusa de l’entendre ; dans la pensée que la cause serait évoquée un jour devant la Cour de cassation, il voulait garder son entière liberté d’esprit. Gibert s’irrita, rompit avec lui[2]. Lœw le revit seulement sur son lit de mort, peu d’heures avant la fin. Il inclinait à croire que les juges militaires ne s’étaient pas entièrement trompés sur Dreyfus et il avait souffert des outrages de la basse presse, quand il rendit l’arrêt sur le pourvoi de Zola.

Il était en Alsace quand le procureur général l’avisa que la requête de Lucie Dreyfus lui avait été transmise par Sarrien[3], et demanda à connaître ses intentions. Lœw n’eut pas un doute sur les épreuves qui l’attendaient (un débordement d’injures et d’atroces imputations, la paix de sa vieillesse et de sa famille cruellement troublée), s’il trouvait au dossier la preuve de l’erreur judiciaire. En conséquence, il informa le doyen de la Chambre criminelle (Sallantin), qu’il prendrait lui-même la direction de l’Affaire et, dès que la chan-

  1. Enq. Mazeau, 78, Lœw.
  2. Lettre de Gibert, du 30 janvier 1899, à un député. (Temps du 2 mai.)
  3. 27 septembre 1898. (Revision, 3 à 9.)
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