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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de Déroulède et de Guérin, qui s’exerçaient en maltraitant quelques juifs[1], mais la place elle-même entourée de barrages et les jardins des Tuileries occupés par des régiments de cavalerie. Ils se sentirent fort rassurés par ces précautions et quand les journalistes, grouillant dans la salle des Pas Perdus, annoncèrent que Chanoine allait donner sa démission à la tribune et que les amis de Guérin le racontaient dans la rue[2], on haussa les épaules.

Brisson, surtout, était fort tranquille ; si ces rumeurs fussent arrivées jusqu’à lui, il les aurait traitées par le dédain. Il déclara, dès le début de la séance, qu’il était prêt à discuter les interpellations et qu’il revendiquait l’honneur d’avoir enlevé l’Affaire à la politique, de l’avoir rendue « à la suprême autorité judiciaire ».

La droite, les nationalistes, lui crièrent de donner sa démission : « Allez-vous en ! Vive l’armée ! »

Tous n’étaient pas du complot ; Déroulède s’était proposé pour amener Chanoine à la tribune, également prêt à ouvrir les voies à la trahison ou à la dénoncer, si quelque scrupule était venu, sur le tard, à ce soldat qui avait été loyal et brave.

Il ne dit que quelques mots, mais si brutaux, d’une violence si évidemment calculée, que des spectateurs qui n’auraient pas été des acteurs auraient reconnu que la scène était concertée :

Le cabinet n’a été maintenu que par une majorité dont le ralliement s’est fait autour du nom d’un républicain, celui-là, Cavaignac… Il a outrepassé le mandat que nous lui avions donné… Sa politique est faite d’usurpation, de

  1. Lettre de Dubuc à Brunet : « J’ai rossé un juif hier ; Drumont se roulait. » (Haute Cour, IV, 105.)
  2. Clemenceau dans l’Aurore du 26.