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BRISSON


ne comptent pas ». Les journaux nationalistes et catholiques ne publièrent que « les fragments tronqués de leurs discours, en supprimèrent les documents essentiels[1]. Près de la moitié de la France resta dans l’ignorance des faits acquis, en proie aux légendes.

Picquart, dans sa lettre à Sarrien, avait relaté son entretien avec Gonse : « Qu’est-ce que cela vous fait que ce juif reste à l’île du Diable ? — Mais il est innocent ! — Si vous ne dites rien, personne ne le saura. » Gonse, dès qu’il connut ce récit, protesta : « Ces propos seraient déshonorants si je les avais tenus. Ces imputations sont mensongères, diffamatoires et insultantes. J’oppose ma parole à celle d’un homme qui est sous le coup d’une inculpation de faux et d’usage de faux[2]. » Bard donna lecture de la lettre de Gonse : « La Cour a entendu hier des allégations graves ; il est juste qu’elle entende la contre-partie[3]. »

Enfin, Mornard parla pour Lucie Dreyfus, avec une netteté parfaite, renouvelant cette histoire que nul ne connaissait mieux que lui. C’était l’esprit le plus judicieux et le plus fin, d’une science consommée, d’un dévouement égal à son savoir et à son talent. Il avait accepté d’entrer dans l’Affaire au moment le plus critique, où tout paraissait désespéré, après la condamnation de Zola. Et il continua à s’acquitter de son devoir, simplement, sans chercher à se pousser, sans grands gestes ni grandes phrases, modeste en raison de sa valeur. Il avait gagné déjà une belle réputation, qu’il étendit. Sa parole était élégante, limpide, il n’eût dépendu que de

  1. Le Petit Journal dit que Bard était convenu que Dreyfus avait fait des aveux. (28 octobre.) L’Éclair supprima la lettre d’Esterhazy à un général.
  2. Lettre de Cormeilles-en-Parisis, du 28 octobre 1898.
  3. Revision, 208, Bard.