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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


contradictions et par les siennes. S’il avait contribué à la chute de Brisson, il avait signé le premier l’ordre du jour sur la suprématie du pouvoir civil ; s’il avait voté naguère avec Méline et avec Cavaignac, il s’était enfin déclaré pour la Revision.

Il était tellement désigné, que Dupuy, pour se faire accepter lui-même, pour ne pas outrer trop vite les revisionnistes, commença par lui offrir le portefeuille de la Justice. Ribot, bien qu’il n’eût nulle inclination à rentrer aux affaires dans ces circonstances, et avec l’épais et madré politicien, promit son concours. Malgré la faiblesse qui lui venait dès qu’il était ministre, Ribot, cette fois, se serait retrouvé l’élève de Dufaure. Sa femme l’eût encouragé. On citait d’elle ce mot qui fit scandale à l’Élysée : « Si j’avais une fille, je la donnerais au colonel Picquart[1]. » Aussitôt, la presse nationaliste le dénonça comme aux gages à la fois de l’Angleterre et des juifs[2].

Les groupes républicains, dans les deux Chambres, adoptèrent des motions très nettes : ils soutiendront un cabinet qui maintiendra « la suprématie du pouvoir civil, la séparation des pouvoirs, le libre fonctionnement des institutions judiciaires[3] ».

Il fallait se résigner à promettre la justice ou ne pas essayer de vivre.

  1. Libre Parole du 27 octobre 1898.
  2. Dès que la crise fut ouverte, Drumont et Rochefort donnèrent de la voix contre Ribot : « Aussi dreyfusard que Dreyfus et plus Anglais que Salisbury lui-même… Il fera revenir Dreyfus et enverra Marchand à l’île du Diable… À M. Félix Faure de réfléchir. » « Hideux dreyfusard anglais, personnage taré. » (28, 29 octobre, etc.) — De même le Petit Journal. — Récemment, dans un dîner à Rambouillet où figurait la comtesse de Martel, qui écrivait au journal de Drumont, Faure avait conseillé à l’un des convives de lire seulement celui de Judet.
  3. 26 octobre 1898.