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CHAMBRE CRIMINELLE


bourreau, qui s’éloigna. Dreyfus pleura, se reprit, rappela Deniel. Il est, depuis quatre années, rayé du monde des vivants ; il ne sait toujours rien du drame dont il est le héros ; il prie cet homme qui, lui, est au courant, qui reçoit des journaux, de lui expliquer les derniers mots du télégramme, où il est invité à produire ses moyens de défense ! « Que s’est-il passé ? Que faut-il dire ? »

Alors Deniel goguenarde : « Si vous, l’intéressé, vous n’avez rien à répondre et ne trouvez pas matière pour rédiger un mémoire, comment voulez-vous que moi, ignorant du jugement qui vous a condamné, je puisse vous guider dans cette affaire ? » Il note, dans son rapport, que Dreyfus lui a paru très embarrassé, inquiet… Toutes ses lettres ont été copiées les unes sur les autres, de manière à ne pas être pris en défaut. Jamais il n’a fourni un argument quelconque pour sa défense. Il s’est toujours enfermé dans les phrases traditionnelles… »

Toutes autres lui étaient défendues, toute allusion au fait précis dont il était accusé. Deniel le savait. Et Dreyfus ne connaissait encore que le bordereau, — ni les pièces secrètes, ni les aveux, ni les faux d’Henry, ni le nom même d’Esterhazy. Même la copie qu’il avait prise du bordereau lui avait été enlevée, à l’île de Ré ; il en avait presque oublié le texte.

Il télégraphia à sa femme, à Demange. Quelques jours plus tard[1], il fut autorisé à circuler, non pas dans l’île, comme l’avait réclamé Trarieux, mais « dans l’enceinte du camp retranché », c’est-à-dire le couloir qui entourait la caserne des surveillants et sa case et que bordait un torchis de pierres sèches, à environ un mètre

  1. 28 novembre 1898.