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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


matif[1], se trouva suffisamment armé. Il porta le soir même son instruction au procureur de la République, Feuilloley, lui exposa l’affaire, l’escroquerie elles faux, demanda un réquisitoire conforme et annonça qu’il allait signer des mandais d’arrêt contre Esterhazy et la fille Pays : « On ne peut pas laisser un pareil misérable dans l’armée ! »

Jusque-là, il avait été chargé seulement d’instruire en faux « contre inconnu » ; surtout, il avait passé jusqu’alors pour habile, souple, accommodant, s’il le fallait, et peu désireux de se brouiller avec les puissants du jour. Il stupéfia le procureur de la République en démasquant ses batteries.

Feuilloley, qui n’était point un méchant homme, mais seulement un magistrat ambitieux de parvenir, connut alors les perplexités de ces fonctionnaires judiciaires que Balzac a si profondément sondés, quand ils se trouvent pris entre deux feux. « Ne pas mentir à ma conscience et servir les deux grandes dames, voilà un chef-d’œuvre d’habileté », pensait Camusot[2].

La lutte autour de Dreyfus avait paru se ralentir pendant deux mois ; depuis quelques jours, elle reprenait avec une violence et une âpreté extrêmes, tout le classique réveil des tempêtes, plus formidable, après une accalmie passagère.

Cavaignac fecit. Son patriotique dessein, mûri si longtemps, de terrasser l’agitation par des vérités nouvelles, s’était tourné contre lui. Les afficheurs n’avaient pas fini de coller son discours sur les murs que, déjà, il était en lambeaux. La lettre de Picquart, rendu publique, remettait tout en question. À ce coup

  1. 11 juillet, (Cass., II, 229) — Le dossier comprenait 49 pièces.
  2. Splendeurs et Misères des Courtisanes, IIIe livre, 31.