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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rendu en couvrant de sa loyauté tant de fautes qu’il ne soupçonnait pas[1].

Il était notoirement convaincu de l’innocence de Dreyfus, mais il ne le déclara pas, alors que les militaires proclamaient à l’envi que c’était le traître.

Esterhazy, bien que la valeur marchande de ses discours eût fort baissé, pouvait être encore gênant pour ses anciens protecteurs. Dès son arrivée à Londres, il avait écrit à Sarrien qu’il lui serait impossible de se taire plus longtemps[2] ; et c’était toujours son refrain, qu’il allait parler. D’autre part, il n’inventait pas toujours des romans aussi stupides que celui du contre-espionnage et passait pour avoir mis à l’abri quelques papiers[3]. Tant que la Cour de cassation n’aura pas rendu son arrêt, il y aura pour lui quelque argent à tirer de son silence, de ses aveux ou de ses mensonges. Ses Mémoires, qui paraissaient en livraisons, annonçaient toujours les révélations décisives pour la prochaine. C’est l’ABC des maîtres-chanteurs. Il faisait cette publication de compte à demi avec les gens de la Libre Parole[4]. Tantôt sa main glissait sur le clavier ; tantôt la musique devenait, comme par accès, plus bruyante. Le 10 décembre, il écrivit à Mazeau « qu’il offrait de

  1. Cass., I, 327 à 332, Casimir-Perier.
  2. Lettre du 14 septembre 1898.
  3. Notamment ceux qu’il joindra, en 1900, à sa déposition devant le consul de France à Londres. Marguerite Pays lui avait apporté elle-même, « cousus dans le fond de son chapeau », les plus importants de ces documents. (Cass., I, 787, Gérard.) Marguerite nia ce détail : « À mon départ pour Londres (le 22 octobre), je n’avais sur moi aucun papier que j’aie considéré comme important. M. de Boisandré m’a fait remettre la minute de la lettre d’Esterhazy au procureur général Manau et les épreuves de la brochure (les Dessous de l’Affaire). Il a voulu garder copie de la lettre. »
  4. Voir t. III, 614. — Cass., I, 787, Pays ; II, 183, Esterhazy.