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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ment que cette fantastique histoire, débitée avec le plus grand sérieux et sur un ton manifeste de sincérité, jetait un jour crû sur ces mentalités militaires, comme la caricature fait comprendre ce qui a échappé à la photographie. Cuignet n’expliquait pas autrement Du Paty ou Henry qu’il n’expliquait Picquart ou Dreyfus, et Picquart comprenait encore Du Paty et avait compris Dreyfus de la même façon que Cuignet.

Sa déposition terminée, Cuignet procéda au dépouillement du dossier secret. Manau et Mornard y assistèrent, ainsi qu’il avait été convenu.

Cavaignac, dans son discours de juillet, avait parlé de « mille pièces environ de correspondance, originales, échangées entre des personnes qui s’occupaient d’espionnage » ; — tout le monde comprit qu’il s’agissait des attachés militaires et que ces pièces étaient relatives à Dreyfus. — Or, le dossier contenait seulement trois cent soixante-treize pièces, dont cinquante à peine, vraies ou fausses, étaient attribuées aux attachés militaires ; le reste, c’était des pièces de comparaison, des traductions, des notes d’agents du bureau des Renseignements. Les conseillers se les passaient[1], bientôt avec un air découragé, humiliés de tant de sottise. Cuignet, au nom de Freycinet, affirma « qu’il n’en existait pas d’autres au ministère de la Guerre, concernant l’Affaire[2] ».

Il expliqua ensuite, mais seulement aux conseillers, quand Manau et Mornard se furent retirés[3], que la cul-

  1. Enq. Mazeau, 77, Lœw ; 31, Cuignet : « Ils se contentaient généralement de recevoir la pièce des mains de leur voisin de droite pour la passer immédiatement à leur voisin de gauche. »
  2. Cass., I, 348, Cuignet. — 30 décembre 1898 et 4 janvier 1899.
  3. 5 et 6 janvier 1899. — Manau et Mornard eussent voulu assister aux audiences où Cuignet « expliqua » les pièces. Sevestre s’y opposa. La Chambre criminelle repoussa leur demande. (Enq. Mazeau, 31, Cuignet.)