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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lard[1] d’assez belle taille, un peu voûté, avec le visage glabre, d’un comédien fatigué, et de petits yeux inquiets et vifs, sans bonté.

Dès les premiers jours de décembre, ses colères, son fiel, sa folie crevèrent dans des conversations. Il allait répétant que « la Chambre criminelle, composée d’anciens politiques rejetés par la vie active[2] », avait toujours été tenue en peu d’estime par les magistrats de carrière et les jurisconsultes de la Chambre civile, « la plus importante et la mieux composée, celle dont le niveau judiciaire a le moins baissé ». Aucun magistrat de la Chambre civile n’accepterait de passer à la criminelle ; « ce serait considéré comme une pénalité[3] ». Les Chambres civiles sont indignées qu’on impute à la Cour de cassation tout entière des « arrêts iniques et absurdes », et s’irritent « de la réputation d’ignorants, d’imbéciles et de concussionnaires » que font à leurs collègues Loew et ses associés, les seuls vendus, « à supposer que ce que tout le monde dit soit vrai ». « Il faut que cela prenne fin. » Déjà, « dans des conciliabules privés », on a délibéré de citer devant les deux autres Chambres la Criminelle « pour habileté de procédure ». Le premier président Mazeau et Tanon, le président de la Chambre des requêtes, sont, comme lui-même, résolument « contre Dreyfus et Picquart ». « Homme d’action et qui n’a pas peur. » il s’apprête à « ouvrir le feu[4] ».

  1. Né à Saumur en 1834.
  2. Tous les conseillers étaient d’anciens magistrats, sauf Accarias, ancien professeur de Droit, et Dupré, ancien conseiller d’État.
  3. Jamais les conseillers ne changent de chambre.
  4. Louis Teste, dans le Journal de Bruxelles du 11 décembre 1898. Cette lettre de son correspondant parisien parut si extraordinaire au journal belge qu’il la publia sous réserves.