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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Lebret rendit compte de ce néant au Conseil des ministres. On peut croire qu’il n’avait pas encore vu le parti qu’il y avait à tirer de cette affaire. Faure seul, peut-être, avait des accointances secrètes avec Quesnay. On décida, en conséquence, de faire paraître une note qui déclarerait ses accusations controuvées, mais que Lebret ferait venir Lœw et Bard et leur recommanderait désormais la plus grande réserve, vu que, « dans une affaire aussi passionnante, des interprétations malveillantes pouvaient dénaturer les actes les plus simples[1] ». Pour Quesnay, Lebret ne lui fit rien dire et se borna à avertir le juge Grosjean, qui parlait à tort et à travers avec des journalistes[2].

Une aussi insigne faiblesse ne fit qu’exciter Quesnay. Lœw, quand il écrivit la minute de sa lettre à Mazeau, avait jeté sur le papier cette phrase, qu’il atténua en la recopiant : « J’ai l’honneur de vous adresser mes explications sur l’inqualifiable délation de M. de Beaurepaire, honteux et indigné d’avoir à m’occuper de pareilles misères. » Cuignet, que Lœw avait autorisé à attendre, pendant les audiences, dans son bureau, y trouva le brouillon, le lut et raconta, le soir même, au greffier et à Quesnay en quels termes le président de la Chambre criminelle s’exprimait sur son collègue[3]. Quesnay poussa les hauts cris. Il est possible qu’il connût également la hautaine protestation de Bard : « Après

  1. 6 janvier 1899 (Discours de Lebret).
  2. 8 janvier.
  3. Les allusions répétées de Quesnay à la phrase de la minute ne permettent pas de douter qu’il ait eu connaissance du brouillon de Lœw. Le cabinet du président n’était ouvert qu’à son garçon de bureau, à Ménard et à Cuignet. Par la suite, Ménard, mis en demeure de s’expliquer, protesta que l’indiscrétion n’était ni de son fait ni du fait du domestique ; il dit que Cuignet lui avait fait part de sa « découverte ». (15 octobre 1899.)