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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Quelques hommes d’étude alléguèrent que les revisionnistes s’étaient trop parés de leurs « intellectuels », donnant à entendre qu’il n’y avait, dans l’autre camp, que stupidité et mauvaise foi. Ces dédains les avaient irrités. Ils voulaient montrer que l’intelligence n’était pas d’un seul côté[1]. Cavaignac adhéra aussitôt[2].

Lemaître prononça un grand discours, où il toucha d’abord au point sensible, s’appliqua, avec beaucoup d’art, à soulager du reproche qui cuisait le plus aux adversaires de la Revision ; ils ne répugnaient pas beaucoup moins à l’injustice que la plupart des hommes, mais, comme eux, ne se l’avouaient pas à eux-mêmes. L’histoire est pleine d’iniquités, mais jamais l’auteur le plus conscient d’une iniquité n’en a parlé que comme d’un acte incompris. Lemaître affirma donc que la question qui divisait la France n’était pas une question de morale, mais une question de fait. « Il ne s’agit pas de savoir s’il est permis de laisser au bagne un innocent, mais de savoir si Dreyfus est innocent ou coupable. » — Ce critique subtil ne le savait pas encore. — « Un tel fait échappe à l’appréciation des particuliers ; on a invoqué des témoignages d’étrangers. Allemands, Anglais, Norvégiens… » Il railla ensuite les mandarins de lettres qui s’offensaient de l’appareil extérieur de l’armée, « celui, en effet, de la force brutale », leur « nihilisme exquis » auquel il préfère « l’anarchisme intégral », et leur héros, « l’énigmatique colonel qui est devenu le dieu des snobinettes ». « Les juges à képi nous inspirent autant de confiance que les juges à toque. Enfin, d’un geste brusque, mais prémédité, il abattit ses cartes. Les nouveaux ligueurs accepteront

  1. Brunetière dans le Temps du 1er janvier 1899. — C’est ce que dirent également Barrès (Temps du 4) et Lemaître.
  2. 5 janvier.