Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/516

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
512
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

IX

Tandis que le ministre de la Justice et le chef de la Cour les calomniaient et les sacrifiaient ainsi, les magistrats de la Chambre criminelle poursuivaient leur enquête, dans le même calme qu’auparavant et sans que rien ne transparût de leur intime douleur. On s’écarta seulement de Sevestre. Ils se dirent aussi qu’ils n’en seraient point là s’ils avaient traité, comme il l’eût fallu, quelques-uns des témoins d’hier en accusés de demain, et s’ils avaient usé davantage de leur droit de les questionner ; en résumé, s’ils avaient été des instructeurs sévères et non des auditeurs trop respectueux. Leur excès de bienveillance pour des hommes qui portaient l’uniforme ne les a préservés ni des haines ni des lâchetés. Il a suffi qu’ils voulussent la vérité pour devenir suspects. La profonde pensée de Pascal leur revenait : « La justice sans la force est impuissante. » Ils n’avaient pas fait sentir suffisamment leur force. Ils eussent voulu faire la justice sans déshonorer trop de soldats et de politiques. Et Lœw, plus tard, dira noblement : « Si nous avons péché, ce n’est point par partialité pour Dreyfus, mais plutôt par partialité contre lui. » Mais, en même temps que ce regret, s’élevait en eux le sentiment consolateur qu’ils écrivaient dans l’histoire, avec leurs humiliations et leurs tristesses, une très grande page.

Ils entendirent, en janvier, plusieurs des principaux témoins.

D’abord Paléologue, au nom du ministre des Affaires Étrangères, sur les pièces les plus importantes du dos-